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		A l’entrée de la Vallée de la Loire, la 
		capitale de l’Anjou cache bien son jeu. Derrière sa fameuse "douceur angevine" et 
		sa modernité culturelle, elle dissimule un patrimoine ancestral et une 
		géographie secrète. Sur son blason, on peut distinguer une "clef 
		d’argent", celle qui ouvrait les portes du royaume, vestiges d’une 
		histoire marquée par les sièges. Mais c’est la clef du mystère que nous 
		avons empruntée à la ville pour décoder ses énigmes d’outre-tombe. Du 
		"bon roi René", féru d’occultisme, aux symboles des alchimistes gravés 
		sur les murs de demeures philosophales, sans oublier les sociétés 
		secrètes, protectrices de trésors oubliés, et les fantômes de 
		personnages légendaires qui hantent encore les rues du vieil Angers, 
		nous avons suivi la ligne magique qui traverse celle qu’on appelle la 
		"ville noire", à cause de ses remparts de pierre et ses toits d’ardoise. Mais si la vraie raison de ce surnom était 
		ailleurs… |  
		Texte et photos par Olivier Valentin 
		Parfois, il faut savoir relever les défis, 
		comme celui de partir sans indice à la conquête des mystères d’une ville 
		de France. Par un heureux concours de circonstances, je me suis retrouvé 
		sur le quai de la gare Saint-Laud, à Angers, par une chaude après-midi 
		de juin. C’était un vendredi. Après avoir posé mes valises pour le 
		week-end dans ma chambre d’hôtel, à la climatisation hésitante, je me 
		suis jeté dans les rues ensoleillées du centre-ville, évitant les 
		nombreux étudiants, manifestement très à l’aise dans ce dédale de 
		vieilles pierres et de façades à colombage. 
		Suivant à l’instinct, mais avec 
		détermination, le chemin de l’office du tourisme (1), en quête d’une 
		carte de la ville et de quelques conseils de visite, je m’arrête chez un 
		bouquiniste, rue Toussaint. 
		« Avez-vous un bon livre sur les mystères 
		d’Angers ? » 
		« Les mystères ? Vous voulez dire les 
		légendes et autres histoires insolites de la ville ? Non, désolé. 
		D’ailleurs, à ma connaissance, je n’ai jamais rien vu à ce sujet. Allez 
		voir à l’office du tourisme. » 
		Pourquoi diable avais-je choisi d’explorer 
		la capitale de l’Anjou qui, malgré quelques bonnes curiosités 
		historiques, dixit le Guide du Val de Loire mystérieux (2), ne se 
		vantait d’aucune histoire de fantômes ? 
			
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				A l’office du tourisme, mon 
				enthousiasme ne fait pas long feu. Hors des sentiers battus, 
				point de salut. Au guichet, on me remet mon dépliant touristique 
				où la cité angevine se révèle dans les grandes lignes. Pour une 
				lecture secrète, interrogez les façades de quelques demeures 
				alchimiques ! Mais il n’y a pas de Da Vinci Code à 
				Angers ! Et pourtant… 
				Le Angers mystérieux se cache 
				derrière un masque. Sa cure de jeunesse (plus de 30 000 
				étudiants !) n’a pas eu raison de ses origines préhistoriques et 
				ses péripéties médiévales, terreau de sa "petite histoire". 
				Je me dirige donc là où tout a 
				commencé : au château, où d’ailleurs un cairn (sépulture sous un 
				tertre de pierre) a été découvert récemment sous la cour des 
				seigneurs. | 
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		La forteresse noire 
		Après avoir décrit sa circonférence pour 
		contempler ses puissantes murailles et ses dix-sept tours noires et 
		blanches (3), hautes d’une trentaine de mètres, je pénètre dans l’enceinte 
		de cette impressionnante citadelle médiévale, par la promenade du 
		"Bout-du-Monde", une terrasse ombragée qui se termine par un à-pic 
		vertigineux sur la Maine. 
		Le château d’Angers (4) est souvent 
		comparé aux kraks des chevaliers, ces édifices fortifiés construits en 
		Palestine et en Syrie par les croisés. Paré d’un système défensif 
		révolutionnaire, le château fut bâti en un temps record, de 1220 à 1240, 
		sur ordre de Blanche de Castille et du futur Saint-Louis. 
		Je passe le pont-levis, jeté au-dessus de 
		profonds fossés, et franchis la grille. 
			
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				A cet instant, je ne sais rien de 
				cette forteresse noire. D’après l'administratrice que j’avais 
				contactée par téléphone quelques jours auparavant, il n’y a pas 
				de revenant au château d’Angers ! A l’exception d’une 
				gigantesque tapisserie qui fait la réputation du lieu et de 
				quelques anecdotes architecturales, rien de très mystérieux 
				entre ces remparts d’ardoise et de schiste… 
				Est-ce bien mal connaître le 
				patrimoine de l’étrange ou la volonté délibérée de protéger 
				certains secrets ? 
				Après avoir traversé hâtivement la 
				cour centrale, je rejoins le guide à l’ombre du châtelet qui 
				abrite les bureaux administratifs. Préservant pour l’instant le 
				vrai sens de ma visite, je me laisse porter par l’histoire 
				épique du château. |  
		Rassemblés en petit comité autour de 
		quatre maquettes qui rendent compte de l’évolution des fortifications au 
		gré des 
		usages et des sièges, nous jouons les funambules sur une ligne 
		chronologique qui remonte à – 4 000 ! 
		Le prince de l'ésotérisme 
		Pour un parcours complet, je renvoie le 
		lecteur au guide de visite (5), en vente à la boutique du château. C’est 
		le XVème siècle qui doit retenir toute notre attention, avec l’influence 
		d'un personnage qui restera 
		longtemps dans les annales de la ville : le "bon roi René d’Anjou". Ce mécène amateur d’art, de 
		peinture, de musique et de littérature, qui laissait toute une ménagerie 
		gambader dans l’enceinte de son château, fut aussi le prince de 
		l’ésotérisme. Les auteurs du livre L’Enigme sacrée (6), dont Dan 
		Brown se serait inspiré pour son Da Vinci Code, lui attribue même 
		le titre de grand maître du Prieuré de Sion, entre Nicolas Flamel et 
		Yolande d’Anjou. 
		Auteur de plusieurs ouvrages qui flirtent 
		avec l’occultisme, le roi René s’est très vite intéressé au mystère des 
		Templiers : le Saint Graal. La famille d’Anjou se serait liée, depuis 
		les croisades, aux Saint-Clair, fondateurs du royaume de Jérusalem et 
		descendants présumés du roi David, en filiation directe avec le Christ ! 
		On comprend alors pourquoi le roi René a mené, en 1448, des fouilles à 
		l’église des Saintes-Maries, en Provence, pour retrouver les reliques de 
		Marie-Madeleine… 
			
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				 | 
				Spécialiste de la chevalerie et 
				membre de l’ordre de la Toison d’or, le roi René fonda son 
				propre "Ordre du Croissant" dont on peut voir les armoiries dans 
				une ruelle du vieil Angers. 
				Féru d’alchimie, il aurait aussi 
				côtoyé François Prélati, l’alchimiste florentin qui, aux côtés 
				de Gilles de Rais, se livrait à de macabres expériences pour 
				trouver le secret de la vie éternelle dans le sang de jeunes 
				enfants. Alors que "l’ogre de Tiffauges" fut pendu en 1440, 
				Prélati fut seulement condamné à la prison, dont il s’échappa 
				pour trouver refuge à Angers auprès du duc d'Anjou. Parmi ses 
				autres protégés, on trouvait aussi un médecin-astrologue juif, 
				Jean de Saint-Rémy, grand-père de Nostradamus et spécialiste de 
				la cabale, ainsi qu’un historien, César de Nostradamus, fils de 
				l’auteur des célèbres prophéties. |  
		Avec un tel aréopage de mystérieux 
		conseillers, il est dommage de ne pas entendre, même à voix basse, la moindre 
		allusion au passé ésotérique du "bon roi René". 
		Révélations ! 
		Pour offrir au visiteur sa dose d’émotion, 
		le guide nous entraîne dans la grande galerie du château où est exposée, 
		depuis 1952, la plus ancienne et la plus grande tapisserie du monde : la 
		Tenture de l’Apocalypse. Réalisée à partir de 1377 pour illustrer le 
		texte biblique de l’Apocalypse de Saint-Jean (mot d’origine grec 
		signifiant "révélation" et non "fin du monde" !), elle fut commandée par 
		Louis 1er, duc d’Anjou, et dut souffrir plusieurs siècles de mauvais 
		traitements, à l’instar des Chrétiens dont elle représente l’histoire 
		prophétique. Je me garde bien d’en faire ici le commentaire. Il faut 
		passer les doubles portes qui protègent ce trésor de la lumière et de la 
		chaleur, et contempler les 75 tableaux restants, véritables mines de 
		symboles ésotériques, décryptés par le guide, pour en apprécier toute la 
		valeur. 
		La visite commentée s’achève. Je me 
		présente au guide et lui demande de me parler des légendes de la 
		forteresse. Préparant une visite thématique sur les geôles du château 
		(7), 
		il accepte de me conduire dans l’une des tours, la Tour du Diable 
		(tour n°17), 
		surnommée aussi "tour des fous" pour avoir hébergé un asile d’aliénés. 
		Le château d’Angers est connu pour avoir été une prison inexpugnable. On 
		y enferma des marins, des soldats anglais, des prisonniers politiques et 
		même le surintendant Fouquet, arrêté à Nantes par d’Artagnan en 
		personne, sur ordre de Louis XIV. 
		La marque du diable 
			
				| 
				 | Emportés par le 
				goût du mystère, nous descendons dans le cachot de la "tour 13". Les murs sont incrustés de graffitis, grattés dans la 
				roche. Les âmes des anciens prisonniers se réveillent peu à peu. 
				Urbain Grandier, curé de Loudun, incarcéré quatre mois à Angers 
				pour sorcellerie a-t-il résidé dans cette pièce sombre et 
				humide ? Suspecté de pactiser avec le diable pour effrayer les 
				religieuses du couvent des Ursulines, il est interrogé sans 
				relâche pendant plus d’une semaine par un conseiller du roi 
				Louis XIII. Est-il responsable des phénomènes mystérieux, 
				maléfices et possessions démoniaques, qui frappent dix-sept 
				d’entre elles en septembre 1632 ? Un procès conclut à la 
				culpabilité du curé Grandier, qui périt sur le bûché à Loudun, 
				le 18 août 1634. On raconte qu’une mouche noire vint s’écraser 
				sur le livre des exorcismes au moment même où le condamné baisa 
				le crucifix pour expier ses péchés. Une marque du Diable ? |  
		Les possessions n’auraient même pas faibli 
		avec la mort du "sorcier" de Loudun. Et la malédiction de Grandier ne 
		s’arrête pas là. Le prêtre capucin, d’origine angevine, qui avait 
		interrogé brutalement le suspect meurt d’une crise de démence en 1638. A 
		l’instar du dernier Grand Maître des Templiers, Jacques de Molay, le 
		bourreau fut sans doute convoqué devant Dieu par sa victime avant 
		qu’elle ne périsse dans les flammes. En réponse à cette rumeur, un 
		médecin protestant de Saumur dénonce cette affaire comme une vaste 
		supercherie. A ce jour, le mystère n’est toujours pas levé… 
		Après avoir échangé quelques mots avec 
		l’administratrice – qui ne voit aucune énigme au château à l’exception 
		de la forme curieuse d’un arbre du jardin ! –, je déambule librement 
		dans les allées et les couloirs. Prenant un peu de hauteur, 
		je longe les remparts, suivant le chemin de ronde, de tour en tour. La 
		plus haute, la Tour du Moulin (tour n°1, voir photo ci-après), offre une vue imprenable sur la ville 
		d’Angers. 
		Un fantôme expatrié 
		C’est ici qu’il faut conter 
		l’incroyable histoire de Foulques Nerra, célèbre comte d’Anjou du haut 
		Moyen-âge qui, soupçonnant d’infidélité sa première épouse Elisabeth, la 
		fait précipiter dans la Maine, du haut des remparts. Alors qu’elle 
		réchappe miraculeusement à sa chute, son époux la fait brûler vive sur 
		un bûché dressé devant la cathédrale. Mais le feu s’étend à la ville 
		d’Angers. Un signe divin qui confirme l’innocence d’Elisabeth ? 
			
				| 
				Vingt-huit ans après, c’est au 
				tour d’Hildegarde, la troisième épouse du redoutable chevalier, 
				d’être suspectée d’adultère. Elle se jette elle-même dans le 
				fleuve pour prouver sa vertu. Alors qu’elle atteint sans mal 
				l’autre berge à la nage, elle découvre une statue de la vierge 
				dans un buisson. Sensibles à un nouveau message divin, les époux 
				décident d’ériger un monastère. Les ruines de l’Abbaye du 
				Ronceray, dans le quartier de la Doutre, sont les vestiges de 
				cet édifice votif. 
				Foulques Nerra participe à 
				d’autres "prodiges" avant d’entrer dans la légende en 1040, à 
				Metz, où il trouve la mort à l’âge de 70 ans. Armé d’une épée et 
				revêtu d’une armure, son fantôme ne hanterait pas les hautes 
				murailles de la forteresse angevine mais celles de 
				Chaumont-sur-Loire, dans le Loir-et-Cher, certaines nuits sans 
				lune. | 
				 |  
		L’âme du chevalier noir aurait-elle trouvé 
		refuge dans le château qu’il n’a cessé d’assiéger, de son vivant, pour 
		prendre Blois ? 
		Tel un conquérant qui finit de son 
		contempler son territoire, je redescends les marches étroites de la Tour 
		du Moulin pour emprunter le chemin de garde. 
		Un sortilège de protection 
		? 
		Comme protégé par un étrange sortilège, le 
		château d’Angers a toujours résisté aux tentatives de destruction. 
		Pendant les guerres de religion, le roi Henri III ordonne de raser la 
		citadelle pour éviter qu’elle ne tombe entre des mains protestantes. 
		Mais le gouverneur de l’époque prend tellement son temps pour lui obéir 
		que le château est épargné. Seules les tours sont décapitées. 
		Lors de la seconde guerre mondiale, le 
		château est transformé en dépôt de munitions par les allemands. Alors 
		que des espions apprennent qu’Angers fait partie des cibles de 
		bombardements alliés, le matériel explosif est évacué. Dans la nuit du 
		24 au 25 mai 1944, trois bombes s’écrasent sur le château, provoquant 
		dégâts et incendies, moins lourds de conséquences que si les explosifs 
		étaient restés en ses murs… 
		Les "Chevaliers du 
		Croissant" 
			
				|  | La forteresse 
				se vide. Les grilles vont bientôt fermer. Je rejoins le 
				centre-ville par la rue Saint-Aignan. A l’angle qu’elle forme 
				avec la rue des Filles-Dieu, je tombe sur l’ancienne maison de 
				l’ordre du Croissant, aujourd’hui "logis de l’estaignier". 
				Au-dessus de la porte, je peux lire la devise des chevaliers, 
				"Los en croissant" (les louanges vont croissant), surmontée 
				d’une "escarboucle", un écu orné de huit rais fleurdelisés 
				rayonnant autour d’un cercle. Créé en 1448 par le roi René, 
				l’ordre du Croissant assurait la protection des angevins. 
				C’était surtout une société secrète, les "Chevaliers du 
				Croissant" du roi René, qui pratiquait des cérémonies rituelles 
				à la mémoire du patron de l’ordre, Saint-Maurice, un 
				moine-soldat, mort en martyr et qui donna son nom à la 
				cathédrale d’Angers. C’est d’ailleurs là que continue notre 
				route des mystères angevins… |  
		A l’entrée de la cathédrale, je lève les 
		yeux vers le clocher central. A sa base, on peut apercevoir les statues 
		de Saint-Maurice et de ses sept compagnons d’armes qui furent exécutés 
		au 4ème siècle par l’Empereur Dioclétien pour avoir refusé l’ordre de 
		détruire des villages chrétiens. 
		Messe d'outre-tombe 
		Je pousse la porte et m’engouffre dans la 
		fraicheur de l’édifice. Soudain, je me sens projeté plusieurs siècles en 
		arrière. Devant moi, la silhouette d’un gantier prend forme. Il vient 
		d’entrer dans la cathédrale. Alors qu’il était venu prier pour un de ses 
		amis à l’agonie, l’artisan s’endort et se laisse enfermer. Aux douze 
		coups de minuit, il se réveille. Un curé s’apprête à dire la messe. 
			
				| Recouvert d’un 
				drap noir, l’autel est éclairé par deux bougeoirs en forme de 
				têtes de mort. Je m’approche du prêtre. A ma grande 
				stupéfaction, il s’agit d’un squelette sous une longue chasuble 
				noire. Le gantier prend peur et s’évanouit. L’image se brouille. 
				Nous sommes à présent le lendemain matin. Le pauvre homme 
				reprend connaissance. Hanté par ce souvenir lugubre, il confesse 
				sa vision. On lui conseille de demander au fantôme ce qu’il 
				veut. Il s’exécute le soir même. A minuit, l’épouvantable 
				spectacle reprend. Malgré sa peur, le gantier s’adresse au 
				spectre et lui propose son aide. L’apparition lui confie qu’il 
				est mort depuis bien longtemps sans avoir pu dire une messe à 
				l’intention d’un défunt. Depuis, le paradis lui est interdit 
				jusqu’à ce qu’il trouve une âme charitable qui accepte de 
				participer à son office d’outre-tombe. Le gantier lui propose de 
				prendre part à cette prière des morts. | 
				 |  
		A l’issue de la célébration, il aperçoit 
		deux formes blanches et lumineuses s’élever dans la cathédrale. Le 
		prêtre-fantôme a disparu. L’image du gantier s’efface à son tour. Je me 
		retrouve seul, dans la nef, emporté par mon rêve. Je viens d’être 
		victime de la légende du curé fantôme. 
		Le spectre du Haut 
		Pressoir 
		A Angers, les histoires de fantômes sont 
		plutôt rares. Et même si elles existent, on préfère les oublier. Comme 
		celle de l’ancien "Château du Diable" qui se dressait autrefois derrière 
		l’église de la Madeleine, rue du Haut Pressoir. Il ne subsiste plus rien 
		aujourd’hui de cette demeure maudite que l’on disait hantée par le 
		fantôme de son dernier propriétaire. Jusqu’au coup de grâce donné en 
		1978 par les démolisseurs de ces ruines que seuls les clochards osaient 
		fréquenter. 
		Un roman a pourtant été écrit par un 
		certain René Rabault pour retracer les mystérieuses aventures de la 
		tour du diable (8). 
			
				| D’après 
				l’auteur, un riche Angevin, Armand Langotière, convertit une 
				demeure familiale en château néo-gothique, au milieu du 19ème 
				siècle. Il tombe amoureux d’une jeune fille qui préfère 
				rejoindre les religieuses du couvent d’en-face plutôt que de 
				céder à ses avances. Du haut de sa tour crénelée, l’amant 
				éconduit espionne les bonnes sœurs et envoie, enroulés autour de 
				cailloux, des messages à sa bien-aimée. Mais ce qui aurait pu 
				ressembler à une parodie de Roméo et Juliette va peu à peu 
				dégénérer en une sombre histoire de sorcellerie. Fasciné par 
				Gilles de Rais et l’irrationnel, Langotière se plonge dans des 
				ouvrages de magie noire. Il sculpte sur les murs de son château 
				des figures obscènes de diablotins abusant de jolies jeunes 
				femmes. Sur la terrasse de la grande tour, il anime un 
				gigantesque mannequin, au milieu d’un grand brasier, pour singer 
				le diable et effrayer les locataires du couvent de la Retraite. 
				Dans son livre, René Rabault décrit la mise en scène : « Il 
				maintient l’effroi dans le voisinage par des passages de 
				flambeaux, de lueurs étranges derrière les fenêtres la nuit, par 
				des fumées s’échappant le jour entre tous les volets 
				entrebâillés. Il entretient avec insistance près de ses 
				jardiniers et servantes la crainte du grand diable dormant sous 
				le château maudit. » | 
				 |  
		Au couvent comme en ville, la plaisanterie 
		n’amuse pas du tout. Déjà soupçonné d’avoir maquillé en suicide le 
		meurtre de son père, retrouvé pendu dans une chambre du château en mars 
		1852, Langotière est victime de la rumeur locale qui l’accuse aussi 
		d’inceste avec sa propre sœur Lazarine. Il est condamné à l’exil. Après 
		plusieurs années, il revient mourir au château le 10 octobre 1870, à 
		l’âge de 48 ans. Mais, toujours d’après René Rabault, une malédiction 
		continue de peser sur la famille Langotière, victime de « morts 
		suspectes, paternités clandestines, drames de famille, épreuves, 
		égarements, hantises qui ne disparaîtront qu’en 1956 avec la mort de la 
		fille naturelle du sinistre personnage. » 
		Ceux qui vont mourir vous 
		saluent... encore ! 
		Les lieux les plus hantés de la ville 
		n’ont plus pignon sur rue. De nombreux vestiges ont désormais disparu, 
		à l'exception de quelques traces archéologiques. 
		Rue des Arènes, il ne reste quasiment plus rien du grand "amphithéâtre de Grohan" 
		construit par les Romains au premier siècle de notre ère dans le 
		quartier Bressigny. 
			
				|  | Or, 6 000 
				spectateurs pouvaient assister jadis aux jeux du cirque 
				particulièrement sanglants. Le poète français du XVIème siècle, 
				Charles de Bourdigné, écrivait que, dans les ruines de 
				l’édifice, « les habitants et anciens du pays disent par 
				plusieurs fois avoir vu maintes visions et phantômes ». Les 
				âmes en peine des gladiateurs ayant versé leur sang sur le sable 
				du Grohan ? En compagnie 
				d’un guide de la ville, je consacre l’après-midi du samedi à 
				parcourir les vieilles rues médiévales du centre historique. 
				Chaque façade livre timidement ses secrets, empruntés soit à 
				l’alchimie comme la Maison d’Adam, derrière la cathédrale, soit 
				au spiritisme comme le théâtre actuel, érigé en 1869 à 
				l’emplacement d’un premier théâtre où furent jouées les pièces 
				d’Eugène Bonnemère, un ardent défenseur de la doctrine d’Allan 
				Kardec. |  
		De la clef de 
		l'immortalité... 
		C’est au Jardin des Plantes, le dimanche 
		matin, que je succombe à d’ultimes rêveries. Face à la statue du savant 
		Angevin Michel-Eugène Chevreul, je m’interroge sur son sourire pincé. A 
		quoi pense-t-il ?  
			
				| Un détail 
				insolite pique ma curiosité. D’après les dates gravées sur le 
				socle, le chimiste est né en 1786 et mort en 1889… à l’âge de 
				103 ans ! L’homme qui 
				prétendait être « le seul être vivant qui ait causé avec une 
				personne ayant adressé la parole à Louis XIV » (9) aurait-il 
				percé le mystère de l’or philosophale et de l’élixir de 
				jouvence ? Ou a-t-il simplement hérité de ses parents, morts 
				tous deux à 90 ans passés, des gènes de la longévité ? Tout 
				comme le célèbre Camille Flammarion, la science florissante du 
				XIXème siècle a naturellement conduit Chevreul à s’intéresser 
				aux sciences occultes.  | 
				 |  
		Auteur en 1854 de La baguette 
		divinatoire, le pendule explorateur et les tables tournantes, il a 
		fréquenté l’alchimiste Fulcanelli. Sa dépouille est enterrée dans le 
		Val-de-Marne mais sa silhouette de professeur Nimbus continue 
		d’accueillir les promeneurs du Jardin des Plantes, en quête d’une 
		"seconde jeunesse" ! 
		... à la clef du mystère ! 
		Dans le train qui me ramène à Paris, je 
		comprends mieux pourquoi une "clef d'argent" orne le blason de la ville 
		d’Angers. 
			
				|  | C’est la clef 
				du mystère qui ouvre les portes d’une cité magique dont les 
				secrets sont désormais enfermés dans les livres et les pierres. 
				Pour des raisons plus ou moins louables, Angers a inspiré de 
				nombreux amateurs d’ésotérisme. Sans doute car, à l’origine de 
				la ville, se trouvait un lieu de sépulture érigé par les 
				premiers Chrétiens, à l’emplacement d’un ancien étang asséché, 
				que des fouilles ont permis de mettre à jour. De là, le 
				développement de la cité a relevé du sacré, lui offrant ainsi 
				une géographie secrète, des pouvoirs magiques et des mystères 
				d’outre-tombe… |  
		…qu’aujourd’hui encore, on cherche à 
		préserver ! 
		O.V. 
		Remerciements : 
		Elisabeth Dreyfus, administratrice du Château d'Angers, et son guide 
		Eric Desboudard, Jacques Rondeau (guide-conteur) et le service presse de l'Office 
		du Tourisme d'Angers. 
		La plupart des légendes et anecdotes de ce 
		reportage sont extraites de l'excellent livre de Pierre-Louis Augereau,
		Angers mystérieux (collection Les Cailloux Blancs, Editions 
		Cheminements, 2004). 
		
		***************************************************************** 
		(1)
		
		http://www.angersloiretourisme.com/ 
		(2) Guide du Val de Loire mystérieux, 
		Collectif, Les Guides Noirs, Editions Tchou Princesse, 1980 
		(3) Pour faciliter l'identification de 
		chacune des tours, elles sont numérotées de 1 à 17 dans le sens horaire, 
		en partant de la Tour du Moulin. 
		(4) Château d'Angers, 49100 Angers. Tél : 
		02 41 86 48 77. Web : 
		www.monum.fr 
		(5) Le château d'Angers, Collection 
		Itinéraires, Editions du patrimoine Monum 
		(6) L'énigme sacrée, de Michael 
		Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln, Collection Aventure secrète, 
		Editions J'ai Lu, 2005, pages 466 et 467 
		(7) A partir de mi-août 2006, Eric 
		Desboudard propose une visite du château d'Angers sur l'incarcération, 
		du 14ème au 20ème siècle. Ce parcours thématique d'une heure environ 
		(inclus dans le tarif d'entrée) revient sur les conditions de détention 
		des prisonniers, de la chapelle à la "tour des fous", en passant par le 
		logis du Gouverneur où a été détenu Fouquet. Pour les "amateurs" de 
		torture médiévale, découvrez comment Louis XI enfermait certains 
		prisonniers politiques, comme le cardinal La Balue au château de Loches 
		(Indre-et-Loire), dans une cage de fer, étrangement baptisée 
		"fillette"... 
		(8) Le roman de la Tour du Diable, 
		René Rabault, Editions Siraudeau, 1983 
		(9) D'après Pierre-Louis Augereau, auteur 
		de Angers mystérieux, Chevreul faisait référence à "Mgr de 
		Beaumont qui, à l'âge de huit ans, avait dîné avec le roi". |