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Le Château de Bellefille, dans la Sarthe, près du Mans, a des allures de maison hantée. Sauf qu’aucune histoire de revenant n’y est attribuée. Le chasseur de fantômes a beau fouiller le passé mouvementé de la demeure, rien n’y fait ! A l’origine des pierres, il y a bien une légende teintée d’amour interdit, d’imprécation ecclésiastique et de triste pénitence. Mais aucun spectre pour crier sa détresse !

D’après les archives, des guerres et des conflits d’intérêt ont jalonné l’histoire de Bellefille. Mais pas l’ombre d’un crime ! Certes un héritage familial, en bonne et due forme, qui s’est transmis de génération en génération, puis d’acheteur en acheteur mais aucun drame officiel pouvant justifier une hantise officieuse. Pourtant, l’endroit est énigmatique, ensorcelant, magique ! Près des rosiers et des hortensias, on se laisse rêver au mystère. Nos envies d’intrigue investissent chaque recoin secret. Le château de Bellefille est un lieu "hantégénique", propre à héberger des esprits. Alors, amateurs de romans policiers et de contes surnaturels, poussez la porte de cette magnifique propriété seigneuriale, le temps d’un séjour entre amis ou entre collègues. Et qui sait ? Avec un peu d’imagination, les spectres daigneront peut-être se manifester…

Par Olivier Valentin

La première fois que j’ai entendu parler du Château de Bellefille, il y a presque six ans, j’étais en villégiature dans la Sarthe, chez des amis. A l’époque, je caressais l’idée de créer une société d’événements spécialisée dans les jeux d’enquête pour séminaires d’entreprise (entreprise aujourd’hui en activité !). Mes hôtes m’avaient alors conseillé de visiter un joli manoir des environs comme lieu de réception pour mes opérations. Magnifique demeure seigneuriale dont l’histoire remonte au 12ème siècle, le château de Bellefille se trouve en bordure du village de Chemiré-le-Gaudin, à environ 20 kms au sud-ouest de la ville du Mans. Lieu de mémoire qui a résisté aux assauts du temps depuis les Croisades de Philippe Auguste jusqu’aux tumultes de la Seconde Guerre Mondiale, Bellefille respire le charme d’une propriété de famille, aux murs léchés par le lierre et les fleurs. Nombreux sont les auteurs d’intrigues policières et fantastiques qui auraient été inspirés par l’endroit, aussi ravissant que mystérieux, d’où partiraient deux souterrains aujourd’hui oubliés.

A la fin des années 90, Jean Migault s’occupait du château. Il nous avait réservé un accueil chaleureux et semblait fortement intéressé par mon projet. Après une rapide visite, il avait évoqué la légende de Dame Gerose, dite la Belle Fille, tout en me montrant sa chambre et la lucarne par laquelle elle assistait à la messe de la chapelle Anne, en secret. En effet, elle avait été condamnée à vivre cloîtrée à la suite d’une affaire de mœurs.

Le manuscrit inédit

Avec la complicité de son frère, Jacques Migault, j’ai voulu en savoir davantage. Une maison aussi tranquille que Bellefille garde-t-elle jalousement quelques secrets ? Et même si les fantômes n’ont pas jeté leur dévolu sur ce fantastique château, je souhaitais absolument l’inscrire au registre des demeures d’ambiance où l’imagination prend facilement racine.

En prévision d’un séminaire pour un client, j’ai séjourné une seule fois au château de Bellefille. Ce qui m’a permis d’entretenir une relation de confiance avec Jacques Migault qui gère aujourd’hui les intérêts du domaine. Lorsque je lui ai fait part récemment de mon intention d’écrire un article sur les fantômes de Bellefille, il m’a affirmé n’avoir entendu parler d’aucune histoire de ce genre mais m’a néanmoins adressé de la documentation sur l’historique et la fameuse légende. Quand j’ai reçu son pli, j’avais l’impression de compulser les archives disparues du château. Dans l’enveloppe se trouvait un dossier de vingt feuillets manuscrits, signés d’un certain Pierre Goussin, architecte des Monuments Historiques, et datés de 1983 !

Des les premières lignes, l’ambiance est plantée : « Dans toute histoire, la légende et la vérité sont intimement liées et il est difficile de les dissocier surtout lorsque les faits remontent au XIIème siècle. Mais, si certains ont pu être enjolivés, il est permis de croire à l’authenticité de l’essentiel, et nous n’avons rapporté ici que ce que nous avons lu dans divers ouvrages d’auteurs dignes de foi. »

A la lumière des bougies, je me suis alors plongé dans la lecture passionnante de 900 ans d’histoire en déchiffrant non sans difficulté l’écriture hésitante de l’architecte.

La légende de Bellefille, acte fondateur de l’histoire du château

L’histoire de Bellefille est une chronologie de successions et d’acquisitions. Mais le remarquable travail d’historien souffre de détails concernant l’état du château à travers les siècles. A l’origine, il y aurait eu un oratoire où l’héroïne de la fameuse légende, Damegerose, fille de Gaudin de Chemiré, devait faire pénitence à la suite de sa relation contestée avec son oncle Damase, Seigneur d’Asnières.

D’après la "Légende Dorée des Evêques du Mans", Hugues de Saint-Calais, 37ème évêque du Mans de 1136 à 1142, aurait proféré une menace d’excommunication à l’encontre du Seigneur Damase pour « entretenir publiquement sa nièce ». N’en tenant nul compte, l’intéressé rétorqua que cette menace ne lui empêcherait pas « de faire usage du feu et de l’eau qu’elle prétend [lui] interdire ». En réponse à cette provocation bien étrange, l’évêque prédit que l’impétueux seigneur périrait par le feu et par l’eau s’il refusait de renvoyer sa nièce.
Or, six mois après la prédication du prélat, alors que Damase traversait la Sarthe pour entraîner son faucon à la chasse, il fut pris dans un violent orage. La foudre frappa son bateau, l’entraînant par le fond. Seul le volatile fut retrouvé près de Sablé mais nulle trace du maître.

« Effrayée de ce malheur, Damegerose va trouver l’évêque et confesse ses fautes. Après avoir obtenu l’absolution, elle se retire avec deux de ses parentes dans une terre de son père et y bâtit un oratoire où elle fit pénitence cinquante ans. C’est à présent le Château de Bellefille. »

Cette légende connut plusieurs interprétations, dont une petite pièce de théâtre jouée pendant la Seconde Guerre Mondiale sous la direction d’un certain Gérard Chevalier, alors que le château était transformé en "camp de jeunesse", autrement dit une maison de correction !

Il est également fait référence à cette légende dans la Chanson du Chevalier et du Fauconnier, publiée dans les "Affiches du Mans" du 11 septembre 1827.

La difficile mémoire des pierres

Si l’on connaît ensuite le nom des propriétaires successifs de Bellefille, malgré quelques vides historiques, il est difficile de se rendre compte des travaux d’agrandissement et d’aménagement du château, d’autant plus que l’histoire de la région, fortement liée à celle du pays, fut en proie à de nombreux conflits : Guerre de Cent Ans, guerres de religion, Chouannerie, Guerres Mondiales,…

Ce qui fait écrire à Monsieur Goussin que, dès la seconde moitié du 14ème siècle, "nous arrivons à une des époques les plus calamiteuses de l’histoire de la France, de celle du Maine en particulier. Pendant environ quatre-vingt ans, il n’est pas un coin de cette malheureuse province qui ne soit le théâtre de quelque combat..." Il fait allusion à la Guerre de Cent Ans à l’issue de laquelle le juge Pierre de Courthardy devient, par naissance, propriétaire du domaine de Bellefille.

Le nom apparaît ainsi dans les archives mais sans aucune mention sur l’état des vestiges de l’ancien château et des « longs et mystérieux souterrains » dont l’origine remonte au 4ème siècle, à l’époque des invasions barbares sur la commune de Chemiré. « Nous savons seulement que Pierre de Courthardy fit exhausser [NDA : surélever] sa Maison de Bellefille, ce qui prouve qu’avant 1467, il existait une demeure mais nous ignorons le rapprochement qu’il peut y avoir entre celle-ci et l’oratoire de Damegerose. »

En outre, d’après un article régional porté à ma connaissance par Jacques Migault, le château de Bellefille aurait même été victime des "Bleus" pendant la Chouannerie, sans plus de précisions. A nouveau, il est difficile de dresser un portrait architectural de la demeure. Ce qui, pour un chasseur de légendes et de fantômes, rend difficile la tâche d’identifier, de dater (officiellement entre le 16ème et le 18ème siècle) et de localiser sur place les différents corps de bâtiment  pouvant faire l’objet d’un "acte de mémoire" à l’origine d’un phénomène surnaturel. Je joue alors les équilibristes sur le fil de l’Histoire.

D’illustres personnages ont séjourné à Bellefille parmi lesquels des membres de la famille du poète Joachim Du Bellay (la Pléiade qu'il a fondée avec son ami Ronsard aurait d’ailleurs eu des accointances avec Bellefille) et un mousquetaire du Roi ! A partir du 19ème siècle, le château passe de main en main. Et curieusement, un certain couple Dupont séjourne à peine un mois à Bellefille, entre avril et mai 1920, avant de revendre la propriété aux Bourgeois qui, deux ans après, la cèdent à leur tour aux Tedesco. Que s’est-il passé pour que le château fasse l’objet de transactions aussi rapprochées ? Ne cédons pas trop facilement aux spéculations de l’imagination, même si l’épouse Bourgeois, née Johnson, fut originaire de Ayr, en Ecosse, patrie des châteaux… hantés !

Le 24 juillet 1961, Lucette Trouvé, épouse de Pierre Migault, devient propriétaire du château de Bellefille, en héritage de son père Lucien qui connut la demeure pendant l’Occupation. Depuis, le domaine n’a pas quitté la famille Migault.

Un lieu de villégiature plein de charme et de mystère

Aujourd’hui, hormis les événements familiaux privés, le château de Bellefille enrichit son âme par les mariages, les événements sportifs (les 24 heures du Mans) et le tourisme d’affaires. Dans le cadre d’un devis personnalisé, le château peut être loué aux particuliers ou aux groupes professionnels, en totalité (12 chambres) ou partiellement (de 3 à 5 chambres en priorité dans le corps principal du château, puis progressivement dans les 6 chambres de l’aile) pour une durée minimum d’un week-end.

C’est le lieu idéal pour nouer une intrigue ou couler quelques jours de repos dans une atmosphère proustienne. Le décor est complet. Passé le porche que surmontent deux blasons seigneuriaux, on découvre la façade du bâtiment principal recouverte de vigne vierge et ornée d’une tourelle octogonale au pied de laquelle fleurissent des massifs d’hortensias roses.

Plusieurs dépendances s’étendent de part et d’autre du logis principal, avec des chambres et une grande salle de réception sous charpente apparente. Pour l’authenticité de la "vie de château", on trouve des salons d’époque, une ancienne chapelle, un pigeonnier, une éolienne dont l’escalier à vis évoque un brin d’ADN et un petit jardin labyrinthique où coulait autrefois une vasque.

La convivialité du maître de maison fait qu’on se sent très vite chez soi mais quelques siècles en arrière. Les fantômes d’Arsène Lupin, Rouletabille et autres détectives de la littérature policière flottent au-dessus des arômes de cigare, de livres anciens, de feu de cheminée et du parfum de la Dame en Noir ! Le château de Bellefille est un lieu d’atmosphère qui rend hommage au Cluedo. Cherchez bien : le cadavre du docteur Lenoir repose peut-être dans la salle de billard, près du chandelier. A moins qu’il ne soit dans la cuisine, près du revolver…

Et son fantôme hante peut-être la chambre de la Belle Fille...

O. V.

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Château de Bellefille
72210 Chemiré le Gaudin
Contact :
Jacques Migault (tél 02 43 88 25 33)
Propriété privée. Ne se visite pas.

Location sur devis pour mariages, séminaires ou séjours privés en groupe (courte durée).

12 chambres, toutes avec salle de bain et WC privatifs.

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© Crédits photographiques : O.V.

Remerciements : Gilles Guichemer-Gerbe

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