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Gérard Dôle, "faiseur" de contes
 

Si vous aviez croisé Gérard Dôle au milieu des années 70, au bord des bayous du pays Cajun1 en Louisiane, chevelu, barbu et lunettes à la "John Lennon", vous n’auriez pas immédiatement fait le lien avec Harry Dickson, Van Helsing ou Conan Doyle ! Et pourtant, ce spécialiste de la musique acadienne est un "faiseur de contes", comme il se définit lui-même. Avec une plume ou un accordéon, il raconte des histoires extraordinaires, où le surnaturel est roi. Chez Terre de Brume, il revisite les aventures des plus grands détectives de l’occulte, avec la complicité de son préfaceur, François Ducos, ancien directeur de collection pour Fleuve Noir. Comment passer de Bobino aux quais brumeux de la Tamise ? C’est tout l’art de ce digne héritier de Jean Ray. A l’occasion de la sortie de son dernier livre2, il a accepté de répondre à nos questions, nous confiant quelques exclusivités littéraires et musicales. Qu'il en soit ici remercié !

Propos recueillis par Olivier Valentin

Maison-Hantee.com : Dans sa préface du "Loup-garou de Camberwell" que vous avez publié chez Terre de Brume, François Ducos, votre ami et "préfacier attitré, à vie", raconte l’épisode où il a poussé la porte de votre singulier appartement rue de Buci qu’il qualifie d’"enclave dicksonienne", faisant connaissance avec un macaque, un furet et un ratier ! Quels étranges colocataires sous les toits de Paris ! Cette anecdote, parmi d’autres, façonne une étonnante image de vous auprès des lecteurs. En outre, vous cumulez les mandats de journaliste, historien, musicien, chanteur et auteur-compositeur. Quel genre d’écrivain du fantastique êtes-vous ? Et en quoi vos nombreux talents nourrissent-ils vos romans ?

Gérard Dôle : Je suis un écrivain dans la lignée d’un Jean Ray, pour ne citer que "l’Edgar Poe belge", mais mon talent et mon imagination sont loin d’égaler les siens. Dans mes histoires fantastiques, je ne laisse guère transpirer ma vie et mes multiples activités. Seule, parfois, la musique tient une place dans l’énigme, comme, par exemple dans "Le Diable dans la musique", une aventure du chevalier Dupin.

Maison-Hantee.com : Les cabarets de la Rive Gauche, Bobino, les orgues de Barbarie,… Vous êtes l’auteur d’une étude savante sur "L’histoire musicale des Acadiens" et d’une complainte pour Harry Dickson. Enfin, sur votre carte de visite, figure un portrait de vous, dessiné par Robert Crumb, violon et archet dans les mains. La musique fait donc grandement partie de votre répertoire. Et vous n’hésitez pas à glisser quelques notes dans vos nouvelles. Comment peut-on associer musique et fantastique, votre "marque de fabrique" ?

Gérard Dôle : Je suis un "faiseur" de contes, que vous les appeliez littéraires ou musicaux. J’improvise aussi bien des histoires que des chansons, quitte ensuite à les mettre dans un livre ou sur un disque si elles me conviennent. Je viens justement de terminer un CD intitulé "La Fille du Diable" (The Devil’s Daughter). Il se compose de douze chansons francadiennes de mon cru que vous pouvez m’entendre chanter sur le site : http://mapage.noos.fr/gerard.dole/. Quant à mes recherches sur la Louisiane et ses Acadiens, cela procède du plus grand sérieux, de l’ethnomusicologie pour user d’un grand mot. Là, par contre, toute "fantaisie" est bannie.

Maison-Hantee.com : Avec la complicité de François Ducos qui prépare un ouvrage sur le sujet, vous avez ressuscité Harry Dickson, Thomas Carnacki, le Chevalier Auguste Dupin, Abraham Van Helsing et plus récemment le Dr Martin Hesselius. D’où vous vient cette passion pour les détectives de l’occulte ?

Gérard Dôle : Cette passion vient de la "scène primitive" de Freud, évidemment (rires). L’enfant l’interprète souvent comme une scène agressive de laquelle résulte pour lui un fantasme d’abandon énorme. Période de cauchemars, besoin de savoir, de comprendre, recherche d’un objet précieux, inaccessible. Ce sont les prémices de la curiosité intellectuelle.

Maison-Hantee.com : Vous attachez un soin tout particulier aux illustrations des couvertures de vos recueils de nouvelles. Pour un passionné de dime-novels, vous rendez un bel hommage aux couvertures des "Dossiers secrets du roi des détectives", publiés par Fernand Laven, avec les dessins très expressifs, parfois censurés, d’Alfred Roloff. Selon vous, ces illustrations spectaculaires ont-elles joué un rôle dans le succès de la littérature populaire ?

Gérard Dôle : Ces illustrations spectaculaires, comme vous les nommez à juste titre, ont en effet joué un grand rôle dans le succès de ce type de littérature. Il n’y a qu’à admirer les couvertures de Fantômas, par exemple, pour s’en persuader. De toute façon, l’illustration de couverture, que ce soit celle d’un livre, d’une revue ou d’une brochure, a de tout temps été un agent de vente primordial. Le Penny Dreadful du XIXe siècle en est un exemple éclatant. Combien de ceux qui l’achetaient savaient lire ?

Maison-Hantee.com : Aimez-vous les histoires de fantômes ? Quels sont les auteurs qui vous font veiller très tard ? Ceux qui vous inspirent un vrai frisson ?

Gérard Dôle : J’adore les histoires de fantômes. Celles d’Alexandre Dumas, d’Edgar Poe, de Jean Ray hantent mes nuits. 

Maison-Hantee.com : Vous est-il déjà arrivé un épisode surnaturel dans votre vie ?

Gérard Dôle : Oui, la seule fois où j’ai pris du LSD, en 1974. J’ai été précipité dans un univers terrifiant, un monde "surnaturel", cauchemardesque, pendant des heures interminables. Brrr ! Je ne recommencerai plus.

Maison-Hantee.com : Enfant, aviez-vous peur du noir ?

Gérard Dôle : J’avais peur des sorcières qui peuplaient les ténèbres de la vieille maison de Franche-Comté où vivaient mes grands-parents.

Maison-Hantee.com : A l’instar de votre personnage, Thomas Carnacki, qui traque les spectres, de son salon de Chelsea jusqu’aux entrailles d’une maison hantée, seriez-vous prêt à quitter votre antre parisienne pour affronter les phénomènes paranormaux d’une maison mystérieuse ?

Gérard Dôle : Peste ! En aucun cas ! Je préfère les inventer de toute pièce dans mon home douillet de Saint-Germain-des-Prés.

Maison-Hantee.com : Vous semblez avoir une affection toute particulière pour Conan Doyle et son Sherlock Holmes. D’après vous, l’intrigue policière, qui s’appuie sur des faits, une enquête rigoureuse, des preuves et une explication rationnelle de l’énigme, peut-elle cohabiter avec des créatures imaginaires ?

Gérard Dôle : Énigme vient du latin "Œnigma", dont l'écriture noue le E dans le O, comme Serge Gainsbourg l'avait astucieusement fait remarquer dans sa célèbre chanson, à propos du E et du A de Lætitia. C'est que dans un Œdipe tout comme dans une Œnigma, quelque chose ne peut se dire autrement que par un serrage particulier qui est de l'ordre du nouage. C'est à ce quelque chose qui ne peut se dire, que le terme de croyance doit nécessairement renvoyer. La croyance, en effet, est une action, le fait de croire une chose vraie, vraisemblable ou possible. Or, par définition, ce caractère "possible" ne se réfère qu'à un "impossible". Quel est cet impossible ? Cet impossible, c'est précisément ce que Freud appelait l'inconscient et ce que Jacques Lacan, quant à lui, nommera le réel. À cette différence près d'avec la définition courante, que cet impossible n'est pas "quelque chose", autrement dit n'est pas une chose, mais bien une parole, quelque chose à dire. Avec l'indicible nous nous trouvons donc bien plongé d'emblée au cœur de la croyance. Cependant, reconnaître qu'il y ait du réel, c'est-à-dire de l'indicible, n'est pas suffisant. Nous entrons à ce moment-là, dans le registre de l'imaginaire et du symbolique qui font bord avec le réel. Ce nouage singulier entre le réel, le symbolique et l'imaginaire, c'est ce que la psychanalyse appelle la structure psychique, laquelle se confond avec la structure du fantasme… Ouf ! Merci Aspro ! (rires)

Maison-Hantee.com : Grâce à vous, Harry Dickson s’apprête à vivre de nouvelles aventures chez Terre de Brume dans "Le Diable de Pimlico". Sans dévoiler les secrets de l’instruction, pouvez-vous nous confier quelques éléments d’enquête ?

Gérard Dôle : Je vais mieux faire encore, je vais vous lire quelques lignes de cette histoire. Le prologue s’intitule : "La Maison hantée de Neptune Lane". Écoutez bien :

« Harry Dickson et Tom Wills marchaient côte à côte dans les rues désertes de Pimlico que la lune, alors à son dernier quartier, noyait de sa lueur blafarde. Pas d'autre bruit que celui de leurs pas, et pourtant, le maître avançait avec circonspection, sans adresser la moindre parole à son élève. Consigne : silence et vigilance. Tom suivait, tous nerfs tendus, guettant le danger qui pouvait surgir de la nuit. Parvenu au bout de Neptune Lane, Dickson consulta rapidement un plan qu'il avait sorti de sa poche puis tourna sur la gauche d'une façon résolue, s'engageant dans un moignon de rue au pavage luisant. Arrivé devant une demeure qui gardait un air d'ancienne majesté avec son avancée à colonnes et son escalier bordé de vasques en marbre, il échangea un signe de connivence avec Tom et poussa la porte dont la serrure n’avait guère résistée à ses outils de cambriole.

– Une maison hantée, Maître ? s’enquit le jeune homme en frissonnant.

– Peut-être mon petit, peut-être. Allons, du nerf !

« Les deux détectives pénétrèrent dans le vestibule de l’antique demeure où flottaient curieusement des odeurs de moisissure et de parfums mêlés. Après quelques pas, ils s’immobilisèrent, scrutant les ténèbres.

– Maître, là, regardez !

« Tom Wills avait saisi le bras de son mentor et désignait d'un doigt tremblant une forme sombre gisant sur le sol, près d’un petit escalier qui s'enfonçait dans des profondeurs inconnues. Harry Dickson se pencha et souleva la tête d'une femme, morte depuis peu. La malheureuse était à moitié nue, échevelée et pitoyable dans son élan brisé vers une issue.

– Nous arrivons trop tard pour elle, murmura le détective. D’autres demoiselles courent un semblable sort si nous ne faisons vite, ajouta-t-il avec rage. En avant, my boy ! Sus au Diable de Pimlico ! »

Maison-Hantee.com : Quels sont les lieux de prédilection (librairie, boutique, bar, restaurant, musée ou autres) que vous conseillez aux lecteurs de Maison-Hantee.com pour cultiver le goût des "Maîtres du Mystère" ?

Gérard Dôle : Londres, East End, les Docks, la Tamise… Whitby, sa falaise et son cimetière marin… Le Loch Ness… Les Grampians…

Maison-Hantee.com : Aimez-vous le cinéma fantastique ? Quels sont les films qui ont laissé une empreinte sur votre créativité ?

Gérard Dôle : Je suis un fervent du cinéma fantastique et citer tous les films qui m’ont marqués serait long et fastidieux. Je privilégie les films avec Bela Lugosi, Boris Karloff, Peter Cushing, Christopher Lee… Je prépare actuellement une étude sur Nosferatu. Terre de Brume la publiera sous le titre : "Nosferatu, Illustration d’un mythe illustre".

Maison-Hantee.com : Que pensez-vous de notre site web et de ses reportages ? Une rubrique ou un sujet a-t-il attiré votre attention en particulier ?

Gérard Dôle : Bravo, bravissimo pour votre merveilleux site. Dernièrement, j’ai lu avec un très grand plaisir "De Ötzi à Bram Stoker : Maudites momies !",  "Les Etranges Noces de Monsieur Burton", ainsi que "Les demeures maudites de Barbe-Bleue". Vos reportages, vos rubriques, les sujets que vous traitez sont toujours excellents.

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(1) de Cadien, habitant d’Acadie, la French Louisiane où ont trouvé refuge en 1765 les Acadiens fuyant le Canada et l’oppression des Anglais.

(2) "Le Cauchemar mandchou", Gérard Dôle, Collection Terres Mystérieuses, Editions Terre de Brume, octobre 2005

Quatrième de couverture :
Créé par Joseph Sheridan Le Fanu, le Dr Martin Hesselius, qu’on peut considérer comme le premier authentique détective des Ténèbres, apparaît en 1869 dans "Le Thé vert", une nouvelle faisant partie d’un ensemble où figure également "Carmilla", le chef-d’œuvre de la littérature vampirique.
En furetant dans les volumineuses archives de Vidocq, célèbre chef de la Sûreté parisienne, Gérard Dôle a découvert un lot d’une quarantaine de lettres adressées par Hesselius à son compatriote le Dr Justinus Kerner. C’est avec ce matériau qu’il affirme avoir écrit  Le Cauchemar mandchou, roman épistolaire d’aventures exotiques et fantastiques, rocambolesque à souhait. L’essentiel de l’histoire se passe en Chine, alors que s’éteignent les derniers feux occidentaux de l’épopée napoléonienne. C’est un Empire du Milieu traversé de prodiges, comme dans un cauchemar sans fin, où un empereur vampire défie le pouvoir temporel. C’est surtout une fabuleuse histoire de doubles, chacun étant l’ombre de quelqu’un d’autre, tel ce colonel Champauvert, celui qui n’est pas mort à Eylau, mais à Waterloo.
On sait maintenant ce que furent ces années aventureuses au cours desquelles il n’était pas rare pour Hesselius de rencontrer un officier de la Grande Armée devenu loup-garou, ou un monarque chinois se déplaçant à tire-d’aile afin d’aller vampiriser ses victimes. (Source : éditeur)

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Du même auteur chez le même éditeur :

Les Nouvelles Enquêtes de Harry Dickson
- "Le Vampyre des Grampians"
- "Le Loup-Garou de Camberwell"
- "Le Diable de Pimlico" (à paraître)

Les Extraordinaires Aventures du Chevalier Dupin
"Les Ogres de Montfaucon"

Le Mystère Van Helsing
"Histoires de Vampyres"

Mésaventures de Carnacki, Chasseur de Fantômes
"Les Spectres de Cheyne Walk"

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En savoir plus sur Maison-Hantee.com :

>> Notre article sur Harry Dickson, le "Sherlock Holmes américain"

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