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Le jeudi 24 mars 2005, les fans de Jules Verne vont commémorer le centenaire de sa mort. Or, dans l’œuvre prolifique qu’on lui doit, du centre de la terre à la conquête de la lune, il existe un roman qui se situe à mi-chemin entre la science et le fantastique, "Le Château des Carpathes" (1). Ecrit en 1892 à la charnière entre deux siècles, quand les progrès de la science ont commencé à renverser les croyances, cet ouvrage nous plonge dans les mystères d’un château hanté, niché au sommet d’un pic transylvanien, terre d’élection des superstitions et des créatures de l’au-delà. Or, en préambule, Jules Verne prend soin d’avertir le lecteur que l’histoire "n’est pas fantastique, elle n’est que romanesque". En effet, après s’être joué des amateurs de fantômes grâce aux ingéniosités techniques émergeantes de l’époque, il impose avec force une explication rationnelle à son énigme surnaturelle. Un vrai tour de magie !

Les habitants d’un petit village de Transylvanie sont témoins de phénomènes inexplicables autour du château qui se dresse au sommet d’une montagne escarpée. Une fumée s’en échappe alors qu’il est abandonné depuis le départ du dernier de ses seigneurs, Rodolphe de Gortz. Les rumeurs les plus folles circulent dans la région. Malgré leur peur, le jeune forestier Nic Deck et le docteur Patak partent en exploration et sont victimes de manifestations surnaturelles, en particulier, de l’apparition spectrale d’une femme en haut du donjon !
A leur retour, le Comte Franz de Telek qui voyage pour oublier la mort de sa fiancée apprend des villageois l’histoire du Château des Carpathes et décide de s’y rendre. Il se pourrait en effet que le fantôme soit celui de Stilla, la cantatrice qu’il a tant aimée…

Dans l’esprit du "Château d’Otrante" d’Horace Walpole (2), l’intrigue porte tous les stigmates du roman noir, à la fois romantique et gothique. Une histoire d’amour brisée qui s’inscrit sur le territoire du surnaturel, la touche vernienne provenant de l’usage que l’écrivain fait des sciences au service de notre imagination et de celle de ses protagonistes. Dans son "Château des Carpathes", Jules Verne met la croyance à l’épreuve des sciences. Et vice et versa.

Il puise dans les mythologies de la littérature fantastique et brosse un portrait approfondi de ses personnages en en faisant des héros aussi ignorants qu’incrédules mais porteurs d’une véritable symbolique, entraînant le lecteur dans un processus d’identification. N’importe qui peut se reconnaître dans les tableaux que Jules Verne dresse de cette société de fin de siècle. Ainsi dans la peau d’un paysan, d’un noble, d’un bourgeois, d’un médecin ou d’un curé, il est plus facile de se retrouver pris au piège d’une spirale infernale et de croire à l'incroyable.
Effrayé par l’inconnu, nous n’osons imaginer, ni même affronter les créatures qui hantent ce château imprenable, "château abandonné, château hanté, château visionné. Les vives et ardentes imaginations l’ont bientôt peuplé de fantômes, les revenants y apparaissent, les esprits y reviennent aux heures de la nuit. Ainsi se passent encore les choses au milieu de certaines contrées superstitieuses de l’Europe, et la Transylvanie peut prétendre au premier rang parmi elles. (…) Or, si jamais burg [le château] fut aménagé pour servir de refuge aux hôtes de cette mythologie roumaine, n’est-ce pas le Château des Carpathes ?"

Ce roman nous invite alors à sonder nos propres peurs. Sommes-nous capables de dépasser les apparences (les "fantômes" au sens étymologique du terme, "phantasein" signifiant donner l’illusion, en grec) et de recourir à notre esprit critique ? Ou au contraire, nous laisser bercer par la séduisante fantasmagorie du Château des Carpathes ?
Dans notre étude sur le mythe des maisons hantées (3), nous parlons de ces lieux comme des machines à faire peur. Car c’est bien d’une machine dont il est question. Puisant dans les ressorts de la physique, Jules Verne, en bon prestidigitateur, fait de nous des victimes de notre ignorance. Mais ce n’est pas à moi d’en révéler les ficelles…

Le "Château des Carpathes" ne semble pas avoir eu un destin aussi retentissant que "Vingt mille lieues sous les mers" ou "Le tour du monde en 80 jours" mais c’est un outsider qui a offert une parenthèse fantastique à son auteur. Dans la lignée des grands écrivains du genre, d’Edgar Allan Poe à Stephen King, sans oublier Guy de Maupassant, Oscar Wilde et Henry James, Jules Verne a eu, lui aussi, sa maison hantée !

Olivier Valentin

(1) Le château des Carpathes, Jules Verne, Livre de Poche, 2001 (source des extraits cités dans cet article)
(2) Le château d’Otrante, Horace Walpole, Editions Corti, 2002
(3) Dossier "La Maison Hantée" sur notre site, chapitre 5, pages 36 à 38, Olivier Valentin

Pour aller plus loin :

>> Le château des Carpathes, Dorian Astor, collection Classiques & cie, Hatier, avril 2005 (guide pédagogique incluant le texte intégral et une étude littéraire)

>> Le site de Lionel Dupuy consacré aux analyses littéraires des romans de Jules Verne, dont le "Château des Carpathes"

>> L’exposition "Jules Verne en 80 jours" du 26 mars au 26 juin 2005 à la Cité des sciences et de l’industrie

>> Des reportages sont programmés sur France 5 à partir du 20 mars 2005 sur Jules Verne et l’imaginaire de ses inventions.

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