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Ne touchez à rien*

Maison à vendre. Bon prix. Une seule condition : ne touchez à rien, pas même au couple de petits vieux empaillés qui veulent rester pour l’éternité dans leur ancienne résidence. C’est très frustrant de respecter la règle testamentaire des anciens propriétaires, surtout quand ils ne donnent pas d’explication. Car le moins que l’on puisse dire sur cette histoire de maison hantée, c’est qu’il n’y a aucun mobile de hantise.

Le scénario s’appuie pourtant sur une excellente idée : suivre le destin d’une belle demeure d’un quartier bourgeois de Bordeaux pendant plus d’un siècle au grès de ses locataires successifs avec le même leitmotiv qui consiste à leur faire transgresser la règle. Chaque histoire finissant mal, quel est donc le sens de toute cette tragédie ?

On dirait un concept de série télévisée fantastique. Chaque épisode commence de la même façon : un nouvel acheteur, d’une personnalité très marquée ou d’un mode de vie assez trouble (que l’on découvre par la suite), se présente au manoir tous les 20 ans et signe les papiers auprès d’un représentant souvent mal identifié (notaire, locataire temporaire, agent immobilier, ami de la famille ou bien fantôme ?). Il s’installe, se débarrasse des hôtes indésirables en les cachant dans la cave et commence sa vie de bohème dans une ville dont la vie est rythmée par l’activité plus ou moins glorieuse des dockers et où la bourgeoisie débauchée profite de la pauvreté des bas-fonds pour s’offrir quelques fantaisies nocturnes. Et chaque tranche de vie se conclut toujours par un drame.

Il y a donc là matière à écrire mais Noël Simsolo, pourtant spécialiste du polar et du cinéma, n’a malheureusement pas la place d’approfondir ses personnages, leur passé, leurs rapports avec cette mystérieuse maison et les traces de leur passage. Sitôt le poisson ferré, on tire trop rapidement sur la canne au risque de perdre la prise. Et c’est ce qui ce produit à chaque fois. On reste sur sa faim alors que ça commençait à devenir intéressant. Résultat : chaque histoire qui se termine nous éloigne un peu plus de la logique d’ensemble. Car le gros point noir de cet album, c’est son absence de fil rouge. Et même si certains vestiges d’un chapitre sont recyclés dans le suivant (notamment dans la décoration de la maison), la narration ne suit aucun schéma global, à l’instar de cet étrange baobab qui trône sans raison au milieu du jardin. Quel dommage car ce qui fait le charme d’une histoire de fantômes, c’est d’en explorer les sources. Pas forcément pour obtenir la belle démonstration scientifique d’un phénomène surnaturel mais plutôt l’anecdote qui justifie la hantise. Qui étaient ces gens passionnés de taxidermie ? Ont-ils découvert le secret de la vie éternelle à force d'empailler leurs animaux ? Pourquoi ont-ils fixé dans leur testament la condition de ne toucher à rien ? Cherchent-ils un locataire en particulier ? Quel message ont-ils à délivrer ?

En revanche, le dessinateur Frédéric Bézian trouve ici matière à exprimer tout son talent. Les ambiances de vieilles maisons anglaises à la Oscar Wilde sont très bien respectées. Les traits des personnages sont durs, incisifs et souvent inexpressifs. Les teintes cadavériques des visages renforcent le caractère surnaturel de l’histoire. On ne distingue plus les vivants des morts. Et les jeux d’ombre et de lumière profitent de couleurs foncées et uniformes, à la limite du sépia, donnant l’impression de consulter un vieil album-photo poussiéreux, usé par le temps.

D’ailleurs la qualité du papier et de l’impression sont bien la preuve que la meilleure part est réservée au dessin, d’une étonnante force émotionnelle, et non au scénario qui souffre de nombreuses zones d’ombre. Mais cet album n’en est pas moins une perle rare à consommer sans modération.

Olivier Valentin

(*) "Ne touchez à rien" de Frédéric Bézian et Noël Simsolo, éditions Albin Michel, 2004

   
 

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