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Alors qu’Omnibus réédite l’intégrale des œuvres du célèbre illusionniste Robert-Houdin dans un livre événement et que sort au cinéma "Le Prestige"*, le mentaliste Erick Fearson se souvient d’un temps où la magie était synonyme de mystère et d’émerveillement. Il déplore le chemin que de nombreux magiciens ont emprunté depuis pour privilégier l’effet de style au détriment de l’émotion, devenant ainsi des marionnettistes de l’illusion. Sollicités par les médias, ils veulent aujourd’hui satisfaire la soif de curiosité du public en révélant trucs et astuces, sur Internet ou à la télévision. L’édition n’a pas non plus échappé à cette grande braderie du secret professionnel. Pourtant, d’après Erick, il y a beaucoup à apprendre de l’art de la magie, en particulier l’humilité et l’objectivité. La magie n’implique pas de devoir en vulgariser les ficelles. C’est avant tout un état d’esprit.

La littérature de Robert-Houdin, père de la magie moderne, nous donne l’occasion de réfléchir à ce paradoxe : le travail d’un vrai magicien est de faire oublier au spectateur qu’il y a un truc. Encore faut-il que le spectateur soit désintéressé…

Par Erick Fearson

Je vous parlerai d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Quoique… Avec la télévision, le web et maintenant l’édition, on peut s’attendre à tout ! A l’occasion de la sortie événement, chez Omnibus, de l’œuvre complète de Jean-Eugène Robert-Houdin, créateur de la magie moderne, je vais vous parler d’illusionnisme. Pourquoi un tel sujet sur Maison-Hantee.com, lieu de rendez-vous des phénomènes souvent inexpliqués, parfois inexplicables ? Peut-être parce que mon père fut illusionniste, que j’ai moi-même été, dans une vie antérieure, illusionniste professionnel et que je suis tombé, enfant, dans la marmite de Robert-Houdin. Sans doute aussi parce que cette discipline m’a permis d’aborder certains événements paranormaux avec recul et objectivité. Mais surtout parce que ce classique de la littérature de prestidigitation est une "madeleine de Proust". En effet, quand je pense qu’il y a quelques années de cela, j’ai cassé ma tirelire pour acquérir les éditions originales alors qu’aujourd’hui l’intégrale est accessible à tous pour une somme raisonnable ! Alors… sacrilège ou hommage ?

Sacrilège ? Je m’explique… J’ai toujours été contre la démocratisation et la vulgarisation de la magie ! Personnellement, l’accès au savoir magique devrait être impossible ou tout du moins très difficile. A mon sens, pour accéder à cet univers et à ses secrets, il faut s’en montrer digne. A l’image d’une quête initiatique, cela suppose de suivre un chemin de traverse ardu mais ô combien gratifiant quand on parvient au bout, après avoir franchi de nombreux obstacles. Durant ce long voyage, une réflexion s’impose sur son art et sur soi-même. Par cet apprentissage, il faut comprendre l’acte magique en profondeur.

Tueurs de mystères

Aujourd’hui, cette notion du secret dans laquelle j’ai baigné a disparu. Et cela m’attriste. Dans notre société contemporaine, on doit malheureusement consommer de tout et vite ! Tout doit être accessible par tous et facilement ! D’où l’absence de qualité au profit de la quantité. Or, l’univers de la magie, ou plutôt de l’illusionnisme devrais-je dire (car ce serait faire trop d’honneur au milieu des prestidigitateurs que de le qualifier de magique), n’échappe pas à cette surconsommation. Les secrets des magiciens sont maintenant des secrets de polichinelle : n’importe qui peut y avoir accès. De fait, tout le monde s’improvise expert et la notion de mystère a déserté cette discipline. Pour s’en convaincre, il suffit d’assister à un spectacle de "magie". Intriguant certes, mais aucunement mystérieux, ni magique au sens noble du terme. Car les soi-disant magiciens d’aujourd’hui, bien souvent arrogants et prétentieux, se concentrent davantage sur l’accumulation d’effets et la révélation de techniques sophistiquées au détriment de toute création et, de surcroit, de toute émotion. Ils n’ont pas encore pris conscience que la vérité est ailleurs…

De vous à moi, certains livres, films, concerts ou peintures libèrent beaucoup plus de magie qu’un simple et vulgaire spectacle d’illusionnisme. Pour la grande majorité des magiciens, ma vision des choses peut paraître élitiste et extrémiste. Mais elle l’est ! Et je l’assume parfaitement ! Ce qui ne m’empêche pas d’ailleurs d’entretenir de solides amitiés avec plusieurs illusionnistes de renom.

"Le travail d'un vrai magicien est d'abolir la solution"

Hommage ? Toute réédition compte… Celle de l’œuvre intégrale de Robert-Houdin éveille en moi des sentiments similaires à ceux d’Orson Welles pour le "Précis de prestidigitation" de Bruce Eliot. Je rappelle qu’en plus d’être l’homme de cinéma que nous connaissons, Orson Welles fut aussi un excellent magicien, respecté du milieu. Il a rédigé la préface du livre de Bruce Eliot dont voici un extrait :

« Il est tout à fait possible que cet excellent livre n'aurait jamais dû être publié, tout au moins sous cette forme, c'est-à-dire pour la vente au grand public.

Il y a deux sortes de livres de magie : une donnée en prime avec un produit alimentaire, et cette sorte de livre qui donne explicitement et avec des gravures, de sorte que le lecteur peut réellement saisir le truc, des secrets de valeur de la magie professionnelle.

Tout d'abord, il doit vous être expliqué que l'auteur de cet avant-propos appartient à ce sombre groupe de maniaques dont le nombre diminue, qui souhaiterait que la magie puisse être gardée secrète.

A ses yeux, les pires ennemis de la magie sont cette portion du public de plus en plus nombreux qui sait comment se fait le tour. On doit admettre qu'un problème résolu, avant d'être montré, a sur le public autant d'attraction qu'un lit défait.

Il semble clair que le travail d'un vrai magicien est d'abolir la solution.

Enlever à la magie son élément de merveilleux est aussi désastreux que d'enlever à la musique son élément ton.

Maintenant, je n'arrive pas à me persuader que la vulgarisation massive du savoir magique n'a pas contribué puissamment à la situation présente: La profession, et avec elle l'art magique, mourra certainement à moins que des secrets comme ceux contenus dans ce livre ne soient soigneusement protégés contre l'attention de simples curieux. »

Robert-Houdin faisait partie de cette époque où la magie était synonyme de mystère et de merveilleux. Un temps selon moi révolu…

Le grand horloger ?

Jean Eugène Robert-Houdin est né à Blois en 1805. Son père, horloger, l’initia très jeune à la mécanique de précision. Un libraire lui remit le "Dictionnaire des amusements de la science" en lieu et place du "Traité d’horlogerie" qu’il devait acheter. Dictionnaire dans lequel il découvrit des tours de cartes et autres expériences. Premier d’une longue série, ce hasard le destina à une carrière de magicien.

Sa curiosité naturelle, son génie pour la mécanique et sa passion pour l’illusion le poussèrent à inventer et fabriquer d’incroyables automates. Il créa des pendules mystérieuses aux mécanismes invisibles qui firent, en partie, sa réputation. Mais plus que ses créations, c’est sa vision de l’art qui révolutionna la magie. Avant lui, les magiciens se produisaient en grande robe étoilée et chapeau pointu (à la façon d’un Merlin) et utilisaient des accessoires grossièrement truqués. Robert-Houdin, lui, a introduit le modernisme, entrant en scène sobrement vêtu de l’habit de soirée, avec pour seul accessoire… une baguette magique ! Le Tout-Paris se pressait pour admirer le maître à l’œuvre. Il ouvrit son propre théâtre, tout d’abord rue de Valois puis Boulevard des Italiens. La première eut lieu le 3 juillet 1845. Gagné par un succès fulgurant, il fit rapidement fortune et sa renommée dépassa largement les frontières françaises pour s’étendre à l’Europe entière.

Robert-Houdin a eu une grande influence sur toute une génération de magiciens et notamment sur Erich Weiss, devenu célèbre sous le pseudonyme de "Harry Houdini" qu’il adopta en hommage au maître. Profitons-en pour corriger une bonne fois pour toutes une erreur, souvent faite par les médias : Robert-Houdin et Harry Houdini sont deux personnages différents ! Le premier fut français et le second américain, d’origine hongroise. En outre, quand Robert-Houdin est mort, Houdini n’était pas encore né…

En 1852, il se retira à Blois dans sa demeure, Le Prieuré, qu’il truffa d’effets spéciaux spectaculaires : portes qui s’ouvraient toutes seules, apparitions de messages à l’attention du visiteur,…

En octobre 1856, le gouvernement français l’envoyait en Algérie pour défier les marabouts qui, à l’origine de plusieurs révoltes, avaient une emprise sur le peuple. Celui que les Algériens nommaient le "sorcier blanc" ridiculisa les marabouts en les provoquant en duel. Il gagna ainsi l’estime de la population et pacifia le pays.

En presque retraite dans sa résidence, il s’occupa de ses automates et rédigea ses livres avant de s’éteindre en 1871. Dix-sept ans plus tard, sa famille vendit son théâtre à un autre prestidigitateur de talent qui allait révolutionner le cinéma peu après : Georges Méliès.

Petites confidences entre magiciens

Dans "Une vie d’artiste, confidences d’un prestidigitateur" (1858), le premier livre de Robert-Houdin, l’artiste raconte sa vie, très romancée à mon sens, et dresse un historique de la magie. Comme moi en son temps, les amateurs de bizarreries apprennent comment s’enfoncer un poignard dans la joue, manger du verre pillé, jouer avec des serpents, avaler des cailloux et des tessons de bouteilles, marcher sur du fer rouge et autres tortures spectaculaires… Pour être franc, je vous déconseille de tenter ces expériences, sauf si vous voulez prendre un aller simple pour l’au-delà ! Car le fossé est immense entre la théorie (sport dans lequel excellent les illusionnistes détracteurs du paranormal !) et la pratique. Et je parle en connaissance de cause…

Dans son tome, "Comment on devient sorcier" (1868), Robert-Houdin dissèque de nombreux tours : la fameuse expérience des gobelets, la manipulation de pièces de monnaies ou de cartes à jouer, les costumes et divers accessoires truqués, le coup des anneaux chinois que vous connaissez certainement (ceux qui s’enclavent et se désenclavent comme par magie !),… Bref, c’est un véritable cours magistral qui vous initie aux bases de cette discipline, le B.A.-BA de la prestidigitation !

Futurs tricheurs et escrocs en herbe, réjouissez-vous ! "L’Art de gagner à tous les jeux ou les tricheries des Grecs dévoilées" (1861) vous enseigne comment tricher aux cartes, aux jeux de société et à la roulette. Vous découvrez aussi quelques accessoires, d’apparence anodine, mais idéaux pour vos prochaines excursions au casino, comme la bague à marquer les cartes par exemple…

Alors que, dans son deuxième livre, Robert-Houdin expliquait les bases de la prestidigitation, l’artiste explique dans "Magie et physique amusante" (posthume, 1877) les grandes illusions qui ont fait la renommée de son théâtre. Donc, si vous avez un théâtre privé sous la main, apprenez, bienheureux lecteurs, à faire apparaître des fantômes sur scène ou sortir d’une armoire (truquée !) votre partenaire en justaucorps à paillettes (très professionnel), faire parler la tête d’un décapité, invoquer les esprits à l’intérieur d’une armoire (encore une !) ou extraire d’un carton à dessin un tas d’accessoires inutiles, chapeaux, colombes, casseroles et même un enfant de 6 ans (non fourni) !

Avec "Le Prieuré" (1858), Robert-Houdin révèle comment il a trafiqué sa demeure de la cave au grenier grâce à son talent d’illusionniste et son génie d’orfèvre. Cette véritable maison "hantée" de fête foraine avant l’heure eut beaucoup d’effet sur plus d’un visiteur intrépide !

Avec l’intégrale qui compte pas moins de 992 pages, vous allez combler votre insatiable curiosité d’apprenti magicien et votre soif de savoir. Et éventuellement, après sa lecture, vous pourriez même contrer un illusionniste en pleine représentation ! Seul point noir de cette édition : son prix, beaucoup trop abordable pour ce monument de la littérature de prestidigitation ! Chacun peut se payer la part du lion. Et pas besoin de fouiner chez les bouquinistes pendant des années. Il vous suffit de pousser la porte de n’importe quelle bonne librairie pour le trouver.

En revanche, vous n’y trouverez pas les techniques les plus modernes comme la levée double qui permet de montrer deux cartes en une, ou bien le comptage de cartes Elmsley (un faux comptage en fait !), le "Biddle Move", l’étalement Ascanio, j’en passe et des meilleures… Vous ne trouverez pas non plus le secret des grandes illusions qui vous intriguent depuis si longtemps, comme la femme coupée en deux dont la solution se trouve dans la table sous la caisse ainsi que dans l’utilisation de faux-pieds,… Mais, non je n’ai rien dit ! Non, non et non ! Ne comptez pas sur moi pour vous révéler ces secrets si bien gardés. Mais, entre nous, la télévision (M6 en tête !) et le web vous donneront, à coup sûr, toutes les révélations et les bons réflexes, rapidement et sans frais. On vit une époque formidable, n’est-ce pas ?

D’ailleurs, n’êtes-vous pas déjà en train de décrypter cet article pour en connaître le secret ?

E. F.

"Robert-Houdin : Comment on devient sorcier" de Jean-Eugène Robert-Houdin, Préface de Francis Lacassin, Editions Omnibus, 992 pages, 26 Euros
>> Site de l'éditeur

(*) "Le Prestige", film américain de Christopher Nolan, avec Hugh Jackman, Christian Bale, Michael Caine et Scarlett Johansson, distribué par Warner Bros. France, sortie le 15 novembre 2006.
Synopsis : A Londres, au début du siècle dernier, deux magiciens de l'ère victorienne s'engagent dans un duel de tours extraordinaires où chacun tente de percer les secrets de l'autre. Mais ce qui n'était qu'une compétition amicale tourne vite à l'affrontement dévastateur...
>> Site officiel du film (NDR : lire les notes de production, téléchargeables en PDF)

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