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Les "treize fantômes" d'un agent secret
 

Comment passe-t-on des services secrets britanniques à la chasse aux fantômes ? Auteur de l’excellent recueil d’histoires surnaturelles, Treize fantômes, publié en 1971 chez Albin Michel et disponible aujourd’hui uniquement sur le marché d’occasion, George Langelaan, dont le nom signifie "longue vie", s’est consacré au paranormal, après avoir été agent secret pendant la seconde guerre mondiale.
Aux côtés de Jacques Bergier, autre amateur d’insolite, il est devenu apôtre du réalisme fantastique dans les années 60.
Au cinéma, son nom reste indissociable du film de 1958, La Mouche noire de Kurt Neumann, avec Vincent Price, et de son remake par David Cronenberg, en 1986, tous deux adaptés de sa nouvelle éponyme.

Mettre la main sur Treize fantômes chez un bouquiniste spécialisé dans le fantastique fut une bénédiction. Trente cinq ans plus tard, ces treize histoires "vraies", mélange de légendes, d’expériences, de visites et de rencontres, menées essentiellement en Grande-Bretagne et en Irlande, par Langelaan, sont toujours diaboliquement efficaces, vous empêchant de dormir, tant leur lecture est prenante. Surtout, je retrouve beaucoup de la démarche éditoriale de Maison-Hantee.com dans la méthodologie de l’auteur. Il enquête sur des lieux de mémoire, hantés par des siècles de croyances populaires, d’êtres surnaturels et de mystères enfouis, les exhumant pour son plus grand frisson… et pour le nôtre !

De père anglais et de mère française, George Langelaan est né à Paris en 1908. On sait très peu de choses sur son enfance à l’exception de sa première rencontre avec le surnaturel, à l’aube de ses neuf ans, alors que sa mère avait été effrayée par un fantôme dans la salle de bain du grand-père. Il relate d’ailleurs cet épisode quasi freudien dans la préface de son Treize fantômes : « Etant d’un naturel curieux, cet incident déclencha chez moi un accès de questions mitrailleuses, du genre de celles qu’utilisent les policiers et qui font que même des innocents finissent par avouer tout ce que l’on veut. »

Faut-il y voir les prémices de ses futures obligations militaires ? Lorsqu’il rejoint le MI5 (services britanniques de contre-espionnage) sous le matricule PP 751, code Pompadour, dès l’ouverture des hostilités de 1939, il était journaliste. Or, ce n’est pas le fantôme qu’il fait parler mais l’ennemi de la couronne, sous les traits maquillés de l’agent Langdon, français pétainiste, parachuté en France pour entrer en contact avec les forces libres de la résistance. Il aurait même changé son visage de jeune officier anglais pour tromper l’adversaire : oreilles recollées, double menton, petite moustache et mèche sur le côté. Il ne manquait plus que le béret et les lunettes, et le tour était joué !

Après les hostilités, il s’installe en France et épouse à nouveau son métier de journaliste et d’écrivain, publiant des mémoires de guerre, dignes des romans de Ken Follett. Très actif au sein du journal Pilote de 1960 à 1963, Langelaan transmet aux enfants ses souvenirs d’agent secret. De juillet 1970 à février 1971, il devient collaborateur de la revue mensuelle Espionnage de Jacques Bergier.

Ne croyant pas en Dieu, lui préférant le concept de la réincarnation, George Langelaan n’a pas oublié ses souvenirs de jeunesse. Il se spécialise dans la chasse aux fantômes, sans doute hanté par l’horreur de la guerre, de ses morts, ses veuves et ses espoirs de vie meilleure dans un autre monde, un "Anti-Monde" comme il l’appellera dans le titre d’un recueil de nouvelles publié en 1962 chez Robert Laffont.

Un demi-siècle après l’épisode de la salle de bain hantée, il écrit : « …depuis les trente et quelques années que je chasse le fantôme, mes conclusions n’ont pas tellement changé. Mes terrains de chasse favoris sont, naturellement, l’Angleterre, l’Irlande et l’Ecosse où, comme chacun sait, les fantômes sont légion (…). Mes chasses ont consisté en nombreuses visites de lieux réputés hantés, et j’ai souvent couché dans des chambres et même des lits hantés. Je n’ai pas, hélas ! encore vu de fantôme, mais je ne désespère pas. Il se peut que j’aie vu des fantômes sans m’en rendre compte, bien sûr, car contrairement à la légende, les fantômes n’ont pas pour habitude de se promener sous des draps sanglants, à traîner les chaînes du pont-levis de leur arrière-grand-père ; ils sont le plus souvent habillés comme vous et moi. »

Fuyant ainsi les clichés, il use de ses relations et de sa formation de journaliste et d’agent secret pour sillonner l’Europe du Nord, à la recherche "d’extraordinaires histoires". « Le plus souvent, un endroit est hanté sans que l’on sache pourquoi ou à la suite de quels événements. Parfois, on a la chance de trouver, de dénicher l’histoire ; j’ai trouvé là, je l’avoue, un objectif autrement passionnant que la vue d’un quelconque fantôme. Certaines de ces histoires sont si surprenantes, si intéressantes, amusantes même, que j’ai sélectionné les treize qui semblent les plus étranges et que voici. »

George Langelaan nous entraîne alors dans un voyage au pays de l’étrange, faisant vœux d’authenticité, d’objectivité et d’émotivité face au mystère. « Je n’ai rien inventé. Ces histoires sont, pour la plupart, connues par un petit nombre de chercheurs et ce sont souvent celles que racontent les gens habitant à proximité de certains endroits hantés. Je ne saurais dire quelle est la part de légende, d’enjolivement apportée par les conteurs successifs, mais je suis certain qu’à l’origine, elles sont toutes authentiques. »

Passé minuit, j’entame alors les premières lignes de "La femme de pierre", malgré les mises en garde de l’auteur contre une lecture tardive. La lumière vacillante tiendra-t-elle le coup ? Mes yeux fatigués seront-ils assez fiables pour ne pas me perdre en route sur les chemins de Morphée ? Je les ferme quelques instants, non pour succomber au sommeil, mais pour laisser mon esprit s’évader jusqu’à la pointe bretonne, sur l’île de Ouessant ou, de son vrai nom, l'île d’Ushant qui, d’après l’auteur, signifie "île de la peur". Et, comme le disaient les vieux Bretons à Langelaan, "qui voit Ouessant, voit son sang". Brrr…

Se succèdent alors une litanie d’histoires d’amour impossible, de mère éplorée, de querelle fratricide, de duel fatal, de jalousie tragique, de trahison impitoyable, de vengeance sournoise, de traditions cruelles, de croyances aveugles, de folie meurtrière, de défi contre l’au-delà et de tentation mortelle. Avec le talent du conteur, George Langelaan nous transporte dans la Bretagne de Le Braz, dans l’Irlande de Sheridan Le Fanu, dans le Londres de Dickens, dans l’Ecosse de Walter Scott et aux Pays-Bas où, des canaux aux moulins, la méchanceté l’emporte sur la raison. Flirtant avec Poe, Stevenson ou Bulwer-Lytton, ses histoires sont tantôt tragiques, tantôt comiques. Chacune d’elles laisse un goût étrange dans la bouche, curieux mélange de sucré et d’amer. Elles nous glacent le sang mais livrent en même temps un message de paix et d’espérance, comme si les morts ne l’étaient pas pour rien.

L’auteur a été les chercher au plus profond des folklores et des secrets de famille. Et, à lire ses introductions de chapitres où il commente le contexte dans lequel il a mis la main sur chaque histoire, il ne lui a pas été aisé de délier les langues et d’ouvrir les portes aux gonds rouillés. En bon espion qu’il fut, il a su s’infiltrer dans les pubs et les auberges pour discuter, autour d’une pinte, avec les anciens des villages, vénérables gardiens de la tradition orale. Suscitant la confiance, il s’est invité à boire le thé chez les vieilles demoiselles, toujours heureuses d’offrir une part de gâteau et un secret d’outre-tombe. Homme de bravoure, il n’a pas hésité à dormir aux épicentres des hantises, même si les lendemains, ses hôtes étaient déçus de ne lui prêter aucune fatigue tant il avait si bien dormi…

Tous les lieux, ou presque, sont identifiés et localisés par l’auteur, laissant au lecteur le soin de projeter une échappée belle sur ses traces. Même si, après trente ans, les ronces et le temps ont dû sérieusement compromettre l’avenir de certains lieux hantés, il doit subsister encore quelques pierres, vestiges de châteaux inexpugnables ou de maisons oubliées. Encore faut-il enquêter à partir des indices laissés par l’auteur.

Toutefois, Treize fantômes n’est pas un guide touristique ! Et, certains fantômes méritent de hanter en paix. En conclusion de "La maison des volets fermés", l’histoire la plus poignante de Langelaan, selon moi, l’auteur avoue : « Je ne suis par retourné à Dunbarra House. Maintenant que je connais cette étrange histoire d’amour, si ombre il y a derrière les volets, j’estime n’avoir aucun droit à la déranger. Seul le vieux Ted doit être le bienvenu lorsqu’il pénètre dans Dunbarra House. C’est pourquoi je me suis bien gardé de donner ici son nom véritable, ou de la situer avec trop de précision. Le fantôme de Fiona Kittalugh est de ceux qui ne désirent certainement pas les visites de touristes. » On peut dire que le flegme anglais coule dans ses veines !

Le droit au rêve impose souvent le devoir de respect. Si vous cherchez à vous procurer une vielle édition de Treize fantômes, ce n’est certes pas pour faire un ghost tour à la japonaise ! Les meilleures histoires de fantômes sont celles qui vous emmènent sur place et à travers le temps, avec l’espoir de toucher du doigt l’autre monde, avant que celui-ci ne vous échappe, comme un mirage.

Olivier Valentin

Remerciements : Xavier Legrand-Ferronnière, directeur de collection, Terre de Brume

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