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2ème partie du journal d'un chasseur de fantômes bretons
Illustrations : O.V. (hommage à Simon Marsden)

Les secrets du Blavet

Quittons criques et caps, grèves et baies, écueils et marées ! Quittons l’Armor, pays de la mer, pour entrer sur les terres de l’Argoat. En suivant la route d’Auray à Pontivy par la D768, nous mettons le cap sur Baud, ville pittoresque du centre du Morbihan, aux portes du pays de Rohan que traverse le Blavet. Dans cette région où les prairies épousent les courbes des collines, se nichent d’étonnants lieux de culte : calvaires, statues, chapelles isolées et fontaines sacrées. Les fantômes feraient-ils partis de ce patrimoine ?

A l’entrée de Pluvigner, nous sommes frappés par la présence d’un surprenant manoir, le château de Rimaison, aux allures de maison hantée. Deux chats noirs et quelques corbeaux en gardent l’entrée. Verrouillée par un gros cadenas, la grille nous empêche d’accéder à la cour. De toute façon, un écriteau en bois indique qu’il s’agit d’une propriété privée. Même déserte, il vaut mieux ne pas enfreindre la loi, surtout à quelques pas d’un office notarial. Cela ne nous empêche pas de prendre quelques photos.

Une recherche ultérieure sur Internet nous apprendra qu’il s’agit d’un manoir entièrement reconstitué dans les années 1950 à partir de pierres provenant des ruines d’un ancien château médiéval de Bieuzy-les-Eaux laissé à l’abandon au 18ème siècle. Cette anecdote permet de se poser la question : lorsqu’un lieu hanté est démantelé et reconstruit ailleurs, les fantômes subsistent-ils à cette délocalisation ?

La mystérieuse statue de Quinipily

A Baud où l’eau sacrée par de saints guérisseurs comme Notre-Dame-de-la-Clarté (vénérée pour les troubles de la vue) ou Saint Adrien (invoqué pour les maux de ventre) contribue à la notoriété des environs, nous prenons la D724 et suivons les panneaux « Venus de Quinipily ». A environ 1,5 km du bourg, en direction de Hennebont, une petite route se détache sur la gauche. Un vieux portail marque la voie d’accès (interdite au public) à un ancien château dont les ruines, envahies par la végétation, sont désormais inaccessibles. Cependant, en continuant la petite route sur 500 m, on tombe sur l’ancienne porte monumentale de Quinipily. L’enceinte est aujourd’hui occupée par une ferme privée appartenant à la descendante du Comte de Lannion. Pour 2,50 euros par personne, on peut accéder au site sur lequel est implantée la statue d’une déesse antique, la Venus de Quinipily (7).

Son énigmatique histoire avait attisé notre curiosité. Nous voulions donc voir de plus près celle qui a déchaîné les passions pendant des siècles. Jusqu’au 12ème siècle, elle se dressait à une douzaine de kilomètres plus au nord, sur la colline de Castennec, où s’élevait jadis une cité gauloise, Sulim. Connue alors sous les appellations de « femme de fer », Vierge ou sorcière de la Garde (du nom de l’ancien oppidum de Castennec, Guarda), elle était vénérée par les paysans du coin. Ce qui inquiéta l’évêque de Vannes, Charles de Rosmadec, au point de la faire jeter dans le Blavet en 1661 par le Seigneur de Quinipily, Claude de Lannion. Repêchée trois ans plus tard, son culte reprenait de plus belle. Loin d’être vaincu, l’évêque ordonna sa destruction en 1670. Mais les ouvriers chargés de la tâche se contentèrent de la remettre à l’eau après lui avoir entamé un bras et un sein.

La statue fut définitivement sauvée en 1696 par le Comte Pierre, fils de Claude de Lannion, qui la fit rechercher, retailler et installer dans son château à l’emplacement où elle se trouve aujourd’hui. Les paysans de Castennec crièrent au vol et un procès fut intenté par le duc de Rohan pour la récupérer. L’affaire dura quelques années et fut tranchée par les juges : elle resterait à Quinipily.

D’après les archéologues, la dénomination de Vénus fut tout à fait contestable.

Associée en 1812 à une déesse égyptienne par un certain Maudet de Penhouët, auteur des "Antiquités égyptiennes dans le département du Morbihan", elle devint tantôt romaine, tantôt gauloise, entre le 19ème et le 20ème siècle. Elle fut même accusée d’être un "faux", remplacée en 1696 lors de sa taille forcée, par une copie créée de toutes pièces par Pierre de Lannion. Cette thèse était d’autant plus crédible que les inscriptions - aux caractères tous identiques ! - relevées sur le socle furent attribuées à une mystification de la part du Comte. Supputation indéfendable ! Comment une supercherie aurait pu tenir en haleine le duc de Rohan pendant des années de coûteux procès ? L’hypothèse unanime en fait une déesse adorée par les légionnaires en garnison à Sulim. Connaissant le culte qu’ils rendaient à Isis, il s’agirait donc d’une effigie de la déesse égyptienne.

La visite vaut le coup d’œil pour la quiétude et le charme d’un lieu que l’adorable gardienne fleurit consciencieusement avec l’appui de la propriétaire. Les nombreuses perspectives font l’objet de plusieurs photos. Point de fantôme à Quinipily mais assurément l’âme de Vénus, déesse de la beauté, qui enchante nos sens.

Zones interdites

La promenade romantique sera d’ailleurs au programme du jour. Soumis aux caprices du temps, nous égrenons les bourgs isolés, les chapelles (souvent fermées !), les calvaires, les fontaines et les jolies chaumières bretonnes. En contrebas de la route, le Blavet trace sa course à travers les bois. La Bretagne est aussi hantée par la ferveur rurale dédiée à des protecteurs d’outre-tombe.

Un manoir typiquement breton datant du 17ème siècle a alerté notre attention. Situé au nord-est de Quistinic, sur la D159, le manoir de Villeneuve-Jacquelot servit de décor au film « Chouans ! » de Philippe de Broca. Un message téléphonique laissé sans réponse a eu raison de notre visite (8). Nous apercevons ses tourelles au détour d’un virage. Difficile de s’en approcher sans y avoir été invité. C’est donc en parfaite violation des règles de bienséance que nous parvenons aux grilles de l’édifice pour contempler ce bel exemple d’habitat breton. Mais nous restons néanmoins à l’écart, le temps de quelques photos, pour laisser nos fantasmes investir ce lieu mystérieux. Nous ne verrons pas le superbe escalier de la grande tour, ni le cloître. Encore une maison qui gardera jalousement son secret...

Les guides touristiques racontent qu’une chapelle privée datant de 1638 et surplombant la vallée s’élève sur une butte à 500 m du château : Notre-Dame du Cloître. Le nom (claustra ou barrière) et la position dominante de cette chapelle semblent porter le témoignage d’une présence militaire romaine au 1er siècle. Elle abriterait plusieurs statues dont celle en plâtre de Sainte Marguerite sortant du dragon qui l’avait dévorée et invoquée pour l’heureuse délivrance des femmes en couches.

Pendant la seconde guerre mondiale, la chapelle fit office d’infirmerie pour les résistants du maquis. Mais le secret fut éventé par un espion à la solde des allemands et le 24 juin 1944, les patriotes en planque furent tous massacrés par la milice.

Non loin de là, dans la forêt de Quistinic, on raconte qu’une femme originaire de Penhars, près de Quimper, aperçut le fantôme d’une femme sans tête alors qu’elle ramassait du bois mort près d’un vieux châtaignier. Lui assurant venir de la part de Dieu et non du diable, l’apparition déclara être ici « pour une pénitence jusqu’à ce qu’une âme charitable l’ait délivrée d’un secret ». Le spectre ne voulut pas en dire davantage et donna rendez-vous à Anna Tanguy sur le pont de Trohir, le lendemain, à minuit sonnant.

De retour chez elle, Anna raconta son aventure à une voisine et la pria de l’accompagner au lieu de rendez-vous. Hélas, sous-estimant le temps de parcours, elles arrivèrent en retard. Très peinée de ne pas avoir respecté sa promesse, Anna fit donner une messe à son intention. Le soir même, alors qu’elle allait se coucher, elle entendit une voix familière l’appeler par son nom. C’était la femme sans tête qui voulait lui remettre quelque chose. Anna lui fit déposer devant chez elle, sans la recevoir. C’est alors que le spectre disparut en déclarant : « Dieu vous bénisse ! Vous m’avez soulagée de mon fardeau. »

Bien inspirée d’avoir évité le revenant cette fois-ci, Anna comprit qu’elle aurait dû prendre sa place au royaume des morts, ainsi frappée par la malédiction que lui apportait la femme sans tête...

Les spectres d’Auray

L’heure tourne et le jour touche à sa fin. Sur la route du retour, nous passons par Auray pour rejoindre le Champ des Martyrs. A l’ouest du marais de Kerzo s’étend une plaine qui fut, à plusieurs reprises, le théâtre d’effusions de sang.

La première bataille se déroula le 29 septembre 1364 et marqua la fin de la guerre de succession de Bretagne où s’affrontèrent sans merci les troupes de Jean de Montfort, futur duc Jean IV soutenu par les Anglais, et celles de Charles de Blois, appuyé par de nombreux seigneurs français. Blessé à mort par une dague anglaise, Blois y succomba alors que Du Guesclin fut fait prisonnier. Sa mort précipita la défaite des Français. Or, touché par l’extrême piété de son adversaire, Jean de Montfort fit ériger une collégiale à la mémoire de son ennemi à l’endroit même où ce dernier tomba. Servant de couvent à des chartreux de 1483 à la Révolution, la collégiale dédiée à l’archange Saint Michel est devenue une institution pour jeunes filles sourdes, muettes et aveugles.

Le second carnage porte sur la cause chouanne. Dans la chapelle de la chartreuse d’Auray sont gardés aujourd’hui les ossements de 350 émigrés fusillés en 1795. Un mausolée porte les noms des 952 chouans exécutés par les « Bleus » après l’échec du débarquement royaliste à Quiberon.

En outre, une chapelle expiatoire marque l’emplacement de la tragédie sur le « champ des Martyrs ». En 1815, un troisième et dernier bain de sang opposa les Chouans et les troupes de Napoléon. Au vu de ce passé tragique, on comprend mieux les histoires de fantômes qui circulent sur les environs du marais de Kerzo et de la chartreuse d’Auray. Ces lieux seraient hantés par les spectres des combattants morts en état de péché mortel lors de l’engagement de 1364. Ils errent la nuit, sur le champ de bataille, et frappent quiconque se trouve sur leur chemin. Plusieurs habitants du coin auraient succombé à cette malédiction. Parfois, la proximité du marais plonge les environs dans une brume sinistre, signe évident de hantise.

Le piège de Saint-Cado

Avant de quitter la Haute-Bretagne pour laisser l’Ankou à sa funeste mission, nous ferons un dernier crochet par l’îlot de Saint-Cado, dans la Rivière d’Etel, près de Belz, pour finir sur une anecdote plus diabolique.

Doté d’une jolie chapelle romane, le hameau de Saint-Cado est relié à la terre par une digue de pierres dont l’origine remonte, selon la tradition, à la venue d’un moine qui lui laissa son nom. Il aurait convenu avec le diable la construction d’un passage entre l’île et la rive contre l’âme du premier vivant qui l’emprunterait. Le travail presque achevé, Saint Cado y envoya un chat et Satan fut dupé. De rage, il lâcha les dernières pierres dans la rivière d’Etel, donnant ainsi naissance au pont Lorois.
Outre la chaussée qu’il disputa au diable, Saint-Cado conserve les vestiges du lit de son fondateur. L’usage veut que les sourds qui s’allongent dessus pour appliquer leur oreille contre le fond d’une ouverture recouvrent miraculeusement l’ouïe. En outre, les « bien-entendants » peuvent y percevoir un bourdonnement comparable à celui de la mer dans un coquillage...

L’heure des fantômes

En Armorique, la mort ne frappe pas à l’improviste. Ceux qui sont attentifs au moindre signe peuvent s’y préparer. Dans les campagnes bretonnes, le culte des morts est particulier. Des présages, appelés intersignes, ont coutume d’annoncer l’imminence d’un décès.

Parmi ces signifiances, on compte entre autres une chouette qui vient frapper trois coups d’ailes sur la vitre de la fenêtre, un chien qui hurle longuement pendant la nuit, une chandelle de suif qui s’éteint subitement dans la cheminée, une illusion d’enterrement qui traverse la lande, une procession de fantômes passant la porte d’un cimetière ou, encore, une messe blanche célébrée la nuit près d’une chapelle en ruine par un prêtre trépassé en présence des défunts de la paroisse.

Lorsque la mort frappe, le chef de famille arrête le balancier de l’horloge pour marquer l’heure du décès. A la veillée, on récite le chapelet et assiste à de copieuses libations. Une prière de circonstance est psalmodiée d’une voie larmoyante par le récitant et reprise par l’assemblée : « Par où qu’il est passé, j’passerons. Ah ! Mon Dieu, la triste affaire ! Il est mort ! Il n’est plus ! La triste affaire ! N’en parlons plus ! ».

Moralité : Ne cherchez pas trop les fantômes en Bretagne. Ils ne sont pas toujours là où on aimerait les voir. Et si on les croise, votre heure est sans doute venue...

Caroline et Olivier Valentin

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(7) La Vénus de Quinipily et ses jardins : ouvert de mai à octobre t.l.j. de 10h à 19h et de novembre à avril t.l.j. sauf mardis de 11h à 17h. Fermé du 15 décembre au 2 janvier.

(8) Après vérifications ultérieures, le numéro de téléphone mentionné dans notre guide (Bretagne Sud, Guides bleus Hachette, p.291) n’est pas le bon. Ce qui explique que notre message pour visiter la demeure soit resté « lettre morte ». Maison-Hantee.com enquête actuellement auprès de la mairie de Quistinic pour s’assurer que les visites sur rendez-vous sont toujours possibles. Affaire à suivre...

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Repères bibliographiques

>> « Bretagne des légendes » : Brochure 2005 éditée par le Comité Régional de Tourisme de Bretagne et disponible gratuitement sur leur site web (textes de René Le Bihan, ancien Conservateur du Musée des Beaux-Arts de Brest)

>> Au Pays de l’Oust à Brocéliande : Magazine édité en janvier 2005 par le Pays Touristique de l’Oust à Brocéliande (tél : 02 97 73 33 33)

>> Bretagne Sud, Guides Bleus Hachette, 2004

>> Guide de la Bretagne Mystérieuse, Les Guides Noirs, Editions Tchou Princesse, 1979 (édition épuisée disponible en occasion chez les bouquinistes et/ou sur Internet. Une nouvelle édition est disponible depuis 2002 chez Coop Breizh)

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