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Professeur de littérature et de civilisation médiévales à la Sorbonne et auteur de plus de trente ouvrages sur les légendes, les mythologies, le légendaire de la mort et les créatures du folklore fantastique, Claude Lecouteux revient à la rentrée avec son nouvel essai "La maison hantée : Histoire des poltergeists" chez Imago. Dernier volet de son enquête aux frontières du réel, l'anthropologue s'attaque à l'une des plus célèbres formes de hantises : les esprits frappeurs. Point de fantôme dans la maison hantée de Claude Lecouteux mais des troubles physiques et psychiques, d'ordre socio-affectif, qui trouvent un moyen d'expression dans les phénomènes inquiétants de notre quotidien domestique : déplacement d'objets, bruits et apparitions inexplicables,... Encore une fois, le problème n'est pas la chasse gardée du XIXème siècle, certes âge d'or de l'ésotérisme, mais remonte assez loin dans l'histoire des superstitions populaires, les sources d'informations étant plus rares pour les temps anciens.

En exclusivité pour Maison-Hantee.com qui a fourni l'illustration de couverture, Claude Lecouteux et les éditions Imago nous livrent quelques extraits.

Qu'est-ce qu'un poltergeist ? (extrait du chapitre 1, par Claude Lecouteux)

Si l’on cherche une définition de poltergeist dans les dictionnaires français usuels contemporains, ô surprise, il n’y en a pas. Le mot est absent du Grand Robert et du Larousse, et l’Encyclopaedia universalis n’en a qu’une attestation… dans une filmographie. En France, il faut se reporter au Livre des superstitions, par Éloïse Mozzani (1), qui se réfère au témoignage de Luther pour en trouver une. En revanche, on découvre les esprits frappeurs sous la rubrique "esprit" du Grand Robert de 1974, avec pour définition (2) : « Âmes des morts qui manifesteraient leur présence en frappant contre les meubles, etc. Esprit, es-tu là ? », ce qui révèle une forte influence du spiritisme qui se relève déjà, en 1891, dans le Nouveau dictionnaire encyclopédique illustré de Jules Trousset (3). Là, sous l’entrée "spiritisme", nous trouvons même l’histoire des phénomènes qui frappèrent la famille Fox et lancèrent le vocable poltergeist. Le Dictionnaire universel encyclopédique de Claude Augé, publié en 1897, nous donne à lire :

« Esprits frappeurs : âmes des morts qui manifestent leur présence en frappant contre les murs, contre les meubles, ou expriment leur pensée en frappant un nombre de coups équivalant au rang de la lettre alphabétique qu’ils veulent désigner (4). »

Force est de constater que, dans ces définitions, prédomine la notion de morts qui se manifestent par des bruits.

Notre vocable est bien connu des Anglo-Saxons, notamment grâce au film de Tobe Hooper (Poltergeist, 1982), dans lequel un esprit frappeur sème la terreur dans la maison d’un couple californien (5). Ces films sont disponibles en DVD. Au Japon, nous communique un collègue, « le terme “poltergeist” est très connu ; il est indissociable des films d’horreur ». Une série télévisée du même nom a été diffusée sur Canal Jimmy. Actuellement, les éditions J’ai Lu publient les romans de James Kahn à qui l’on doit Poltergeist (1982).

D’après le English Dictionary de Collins (6), le définit ainsi : « Esprit supposé manifester sa présence par des coups et d’autres bruits ainsi que par des méfaits, comme jeter les meubles en tous sens. » Le Dictionary of the English Language de Longman propose une définition presque identique : « Esprit bruyant, généralement malfaisant, que l’on croit responsable de bruits inexpliqués et de dommages physiques. » Quant au Harrap’s New Standard (7), ce dictionnaire anglais-français nous propose "esprit frappeur" comme équivalent de poltergeist. L’anglais propose "esprit bruyant" (noisy ghost) comme synonyme.

Il faut se reporter aux ouvrages spécialisés en ésotérisme ou en spiritisme pour obtenir une définition, ou bien lancer une recherche sur Internet. Là, les sites sont nombreux, certains assez bien informés des dernières théories en vigueur — "Chaosium", "Science et Magie" par exemple —, le meilleur de tous étant "Ouriel", animé par le psychiatre Philippe Wallon, directeur de recherches à l’INSERM. La plus grande prudence est recommandée pour tous les autres sites : l’absence de références précises et de moyens de vérification interdit de les utiliser dans la présente étude, pour ne rien dire des multiples témoignages qui traînent sur Internet et donc pour nous inutilisables car totalement invérifiables. Séparer le bon grain de l’ivraie relève dans ce domaine des sept travaux d’Hercule !

Les "bons" sites Internet proposent plusieurs acceptions de poltergeist, qui induisent déjà une interprétation. Les uns traduisent par "esprits frappeurs" — ce qui est conforme à l’usage, même si c’est réducteur — et assimilent notre entité au knocker anglais et au cnocyur gallois (8), les autres par "esprit fantôme", ce qui est trop vague ou trop généralisant.

La pluridisciplinarité n’est pas encore vraiment entrée dans les mœurs universitaires et de nombreux érudits ne prennent pas la peine de recourir aux sciences auxiliaires de l’histoire et, notamment, à la linguistique et à la philologie. Ils manient donc des concepts sans les définir et ne retiennent qu’une acception parmi d’autres, ce qui est une grave erreur méthodologique. Dans tous nos ouvrages, nous avons évité cet écueil et d’aucuns nous reprochent d’être plus philologue qu’historien des mentalités, ce à quoi nous rétorquerons : comment découvrir les mentalités sans examiner attentivement leurs moyens d’expression ? Ne pas le faire serait nous priver d’un outil pertinent et opératoire, comme la suite de notre enquête le prouvera.

Hormis quelques témoignages d’esprits lanceurs de pierres et perturbateurs empruntés à des temps reculés, l’essentiel des études sur les poltergeists se concentre sur les phénomènes modernes, or il n’y a aucune raison de postuler qu’il s’agit là d’une sorte de génération spontanée au XIXe siècle. Il y en a eu bien avant, mais le vocable poltergeist ne les désignait pas forcément. Nos lointains ancêtres ne possédaient pas nos connaissances pour lire les faits qu’ils nommaient objectivement, si nous en restons au niveau philologique, mais interprétaient subjectivement en fonction de leur environnement physique et mental.

Pour constituer un dossier aussi complet que possible, il faut donc découvrir sous quels masques linguistiques se sont d’abord dissimulés les phénomènes, afin de savoir où et comment les distinguer dans la masse énorme des documents, puis de tenter une interprétation des raisons de la diversité des appellations. En bonne heuristique, l’approche linguistique est donc nécessaire. Nous l’avons expérimentée à diverses reprises et, à chaque fois, elle nous a ouvert des horizons insoupçonnés. Mais pour saisir comment un mot nouveau désignant des phénomènes particuliers a pu surgir soudain, il n’est pas inutile de s’arrêter un instant sur le contexte culturel de cette naissance.

A suivre...

C. L.

Notes

(1) Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, pp. 1454-1455. L’ouvrage de Mozzani signale plusieurs cas relativement récents de poltergeists : l’affaire du presbytère de Cideville (Normandie) en 1850, celle du parc d’une clinique d’Arcachon en 1963, celle du cabinet d’un avocat de Munich en 1968, et celle d’une maison du nord de la France en 1985.

(2) P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 7 vol., Paris, 1974, t. 2, p. 634 b.

(3) 5 vol., Paris, 1891, t. 5, p. 341.

(4) C. Augé (éd.), Nouveau Larousse illustré. Dictionnaire universel encyclopédique, 8 vol., Paris, s. d. (1897), t. 4, p. 298b.

(5) Devant le succès de ce film, Brian Gibson en a donné une suite, Poltergeist II (1986).

(6) Londres, 2002.

(7) J. E. Manson (éd.), Harrap’s Standard French and English Dictionary, part 2, Londres & Paris, 1977, p. 931.

(8) Il y a deux cents ans, écrivait le numéro 3 du Gentleman’s Magazine de 1764, les ouvriers des mines du pays de Galles connaissaient les "frappeurs" (Knockers), « une espèce de génies bons, utiles mais insaisissables. On ne les voit pas, mais on les entend travailler dans les mines ».

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