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Professeur de littérature et de civilisation médiévales à la Sorbonne et auteur de plus de trente ouvrages sur les légendes, les mythologies, le légendaire de la mort et les créatures du folklore fantastique, Claude Lecouteux revient à la rentrée avec son nouvel essai "La maison hantée : Histoire des poltergeists" chez Imago. Dernier volet de son enquête aux frontières du réel, l'anthropologue s'attaque à l'une des plus célèbres formes de hantises : les esprits frappeurs. Point de fantôme dans la maison hantée de Claude Lecouteux mais des troubles physiques et psychiques, d'ordre socio-affectif, qui trouvent un moyen d'expression dans les phénomènes inquiétants de notre quotidien domestique : déplacement d'objets, bruits et apparitions inexplicables,... Encore une fois, le problème n'est pas la chasse gardée du XIXème siècle, certes âge d'or de l'ésotérisme, mais remonte assez loin dans l'histoire des superstitions populaires, les sources d'informations étant plus rares pour les temps anciens.

En exclusivité pour Maison-Hantee.com qui a fourni l'illustration de couverture, Claude Lecouteux et les éditions Imago nous livrent quelques extraits. Pour commencer, voici l'introduction qui plante le décor de cette passionnante enquête où la maison hantée n'est plus un concept de fiction mais une réalité paranormale à ne pas prendre à la légère.

Introduction, par Claude Lecouteux

Si nous prenons la peine de dépouiller les témoignages des traditions populaires et mêmes ceux de la littérature, nous découvrons que notre univers est hanté de mille façons ! Régulièrement les journaux font leur manchette de tel phénomène supposé paranormal, et la télévision a exploité le filon sans l’épuiser, tant il est vrai que des considérations irrationnelles sont toujours assurées du succès. N’éveillent-elles point d’écho chez de nombreuses personnes ? Au cours des dernières décennies, divination et voyance sont passées dans les mœurs et se sont banalisées, le diable a opéré un retour en force, la sorcellerie est restée vivace dans nos terroirs, les talismans et les amulettes ont continué à se vendre toujours aussi bien, bref, dans ce domaine l’homme n’a guère évolué, même si le cartésianisme et les lumières de la raison sont passés par là. Ironie du sort, ils n’ont pas entamé un vieux fonds de croyances qui n’attend que l’occasion de reprendre vie. Des enquêtes récentes menées au cours des années 90 ont mis au jour de stupéfiantes survivances de mentalités que l’on croyait ensevelies sous les brumes d’un obscurantisme moyenâgeux. Hélas, ces recherches souvent diligentées par des ethnologues de terrain n’ont pas les faveurs du grand public qui préfère les récits à sensation.

En raison de l’ambiguïté de la position mentale de maintes personnes, tout ce qui touche au "surnaturel", au "paranormal" a largement droit de cité, et les voix raisonnables des observateurs objectifs sont noyées sous le vacarme des opportunistes, des pseudo-experts. Bref, le lecteur dépourvu de préjugés, celui qui veut élargir ses connaissances, reste sur sa faim car, dans bien des livres abordant ces sujets-là, la naïveté côtoie la rouerie, et les témoignages, surtout lorsqu’ils sont suscités par les médias, s’envolent vers l’outrance et le désir de répondre aux attentes du public. L’événement doit être sensationnel s’il veut jouir d’une vie qui reste néanmoins éphémère.

Le dossier des maisons hantées est de ceux qui méritent d’être repris et débarrassés des enjolivements successifs. C’est, en effet, un extraordinaire témoignage pour l’histoire des mentalités : il a l’avantage d’être un condensé des peurs et des espoirs humains, un véritable creuset de croyances qui se perdent dans la nuit des temps, une attestation de la recherche effrénée d’élucidations de l’inquiétante étrangeté. L’homme a besoin d’expliquer le monde dans lequel il vit, et cela commença très tôt par de simples questions : pourquoi la mer est-elle salée ? pourquoi le corbeau est-il noir ? etc. Chaque interrogation a appelé une, voire plusieurs réponses. Il en va de même pour les maisons hantées. Confrontés à des manifestations insolites, angoissantes ou terrifiantes, les hommes ont cherché à les nommer et à en trouver la cause, seul moyen de diminuer l’horreur éprouvée face à l’inconnu. Identifier l’origine des troubles, c’est déjà les rendre supportables, car on peut alors les contrecarrer ou les éliminer en faisant appel à celui ou à celle qui connaît les rituels, gestes et paroles, les objets ou les plantes susceptibles de mettre fin aux anomalies constatées. Selon les époques, ces "spécialistes" se sont appelés mages, sorciers, exorcistes ou spirites, toutes dénominations soulignant une connaissance hors du commun et, somme toute, magique pour le profane.

Les esprits frappeurs ou poltergeists représentent l’une des formes des hantises domestiques. De nombreuses études en parlent en passant, lorsqu’elles traitent des hantises en général. C’est le cas du Guide des maisons hantées, de Richard Winer et Nancy Olson (1979), centré sur les États-Unis, et du Guide des sites fréquentés par les fantômes, les sorcières, poltergeists et autres créatures mystérieuses, d’Antony D. Hippisley Coxe (1973). Plus anciens et plus précis sont les ouvrages de B. Otto sur Le Langage des morts ou les frappements des esprits (vers 1860-1870), celui de F. W. Rechenberg intitulé Histoire des esprits frappeurs et des tables tournantes (1853), et celui de Robert Papst qui, en 1867, publia une étude intéressante sur les fantômes dans légendes et poésie. En 1920, Felix Schloeny offrait au public son Livre des fantômes ; en 1927, Max Kemmerich se penchait sur les fantômes, les poltergeists, le double et le corps astral et, vers 1930, Heinrich Ohlhaver étudiait la vie des morts et leurs manifestations ; en 1950, la parapsychologue Fanny Moser consacrait une étude à ces sujets et, en 1978, Mary Ottinger s’attaquait aux fantômes des îles britanniques. Ce ne sont là que quelques titres qui révèlent avant tout que les Anglo-Saxons et les Allemands ont une prédilection pour tous les sujets touchant au paranormal.

Parmi les ouvrages à prétentions scientifiques, il faut, pour la France, signaler ceux de Camille Flammarion, notamment ses Maisons hantées (1), et pour l’Italie, ceux d’Ernesto Bozzano qui s’appuie sur les revues de métapsychique, riches en études de cas. Bozzano a étudié cinq cent trente-deux cas de hantise, dont cent cinquante-huit d’esprits frappeurs, parmi lesquels cent cinq concernaient des bruits divers. Outre-Rhin, les phénomènes locaux de poltergeists ont fait l’objet de petites monographies, souvent anonymes, décrivant les faits par le menu, comme ceux survenus à Resau, en 1889, ou à Grosserlach en 1916.

De la masse des livres consacrés aux esprits frappeurs émerge celui du père jésuite H. Thurston, qui repose sur une documentation rare, les anciens journaux anglais, quelques textes du Moyen Âge et des mémoires. L’étude dépasse le cadre européen et nous entraîne dans les anciennes colonies britanniques. Seule lacune : le manque de références bibliographiques précises permettant des vérifications. Enfin, tout récemment, Philippe Wallon, docteur en psychiatrie et directeur de recherches à l’I.N.S.E.R.M., a donné une excellente synthèse de la question (2).

Toutes les analyses citées prennent surtout en compte des faits s’étageant du XIXe à la fin du XXe siècle. Les sources dont disposent les érudits sont donc relativement récentes pour l’essentiel. Le XIXe siècle, haute époque du magnétisme, du mesmérisme et du spiritisme, est particulièrement riche, avec une forte concentration sur le monde anglo-saxon. Pour les temps plus reculés, l’information est éparpillée dans une multitude de textes d’où il faut la débusquer : vies de saints, chroniques, littérature cléricale, dissertations des XVIe et XVIIe siècles, puis journaux sont une mine. Les recueils de mémorats, de légendes et de "superstitions populaires" forment un autre vecteur de la transmission. Quant aux romans et à la littérature en général, nous n’y percevons que de pâles échos qui sont loin d’avoir la force des témoignages de première main, souvent recueillis sur le vif par des témoins involontaires. Grâce à cet ensemble de sources, il est possible de réaliser une étude phénoménologique des esprits frappeurs.

Le chercheur se trouve alors face à un problème irritant lorsqu’il aborde le sujet en diachronie. D’abord, la transmission des témoignages est très inégale en nombre selon les époques et manque parfois totalement. Les lacunes peuvent être dues à nos dépouillements qui ne sauraient prétendre à l’exhaustivité — une vie n’y suffirait point ! —, mais peut-être aussi à des changements d’interprétation des faits et, donc, de leur présentation entraînant leur classement sous une autre rubrique.

Nous verrons que les phénomènes d’esprits frappeurs, expliqués de façon différente de nos jours, furent attribués autrefois à trois grands auteurs. Il faudra élucider les rapports entre ces trois acteurs afin de découvrir l’origine des hantises acoustiques et autres, puis les métamorphoses de la croyance. Car il y a bien eu croyance dans les temps anciens, c’est-à-dire acte d’adhésion à des interprétations auxquelles on prête foi, acte reposant sur des fondements anthropologiques dont la pérennité est confondante. La croyance peut être partagée par tous ou par un seul groupe humain ou social. Elle échappe largement à la raison et, quand ce n’est pas le cas, elle en utilise les moyens pour se justifier a posteriori. Elle se nourrit de tout ce qui peut contribuer à l’asseoir, acquiert droit de cité, se constitue en tradition vivante qui trouve sans cesse de nouveaux vecteurs de propagation. Et comme il y a désormais tradition ancestrale, il y a autorité : est-il possible qu’un aussi grand nombre de personnes se soit trompé ? se demande-t-on en ignorant les phénomènes de contagion et d’autosuggestion.

Au cours de notre enquête, nous avons rencontré un problème inattendu. Nous pensions que tout un chacun savait ce qu’était un poltergeist ; la réalité nous a détrompé et nous a incité à faire une enquête auprès de nos amis, de nos collègues et de nos étudiants. Nous avons adressé la question suivante à une centaine de personnes : "Que signifie pour vous poltergeist ?" Voici les réponses les plus significatives :

« J’associe le mot "poltergeist" à un esprit malfaisant. Si mes souvenirs sont bons, il y avait un jeu de société il y a une dizaine dannées qui portait ce nom. Je ne me souviens plus très bien du jeu en lui-même, mais je sais que ça tournait autour des revenants. Je ne pourrai pas vous en dire plus ! » (J. P., étudiante).

« Le terme désigne pour moi une maison hantée, où cette hantise se manifeste non par lapparition des fantômes mais par des manifestations surnaturelles (déplacement dobjets, bruits, etc.). Mais je peux me tromper ! » (T. M., écrivain).

« Je dirais esprits frappeurs, comme chez Agobard et consorts ! » (J. B., directeur de recherches au CNRS).

« Pour moi, un poltergeist est un esprit qui se manifeste par des déplacements dobjets ou dautres phénomènes physiques. Il est généralement attaché à un lieu dhabitation particulier. Il est traditionnellement identifié comme le fantôme malheureux ou malfaisant dun ancien habitant, mais la parapsychologie moderne tend à établir un lien entre les manifestations et la présence dun adolescent perturbé. » (L. G., professeur et écrivain).

« Nest-ce pas un esprit frappeur ? » (J.-Ph. D., libraire).

« Comme ça, sans réfléchir, et à sept heures trente du matin : ce mot mévoque un esprit frappeur qui vit au sein de la maisonnée et qui se manifeste par des bruits mais nest pas visible. Je ne saurais rien dire sur ses motivations, et jaurais tendance à le compter au nombre des génies du terroir, marquant peut-être par là son mécontentement vis-à-vis dhumains peu respectueux de ses prérogatives sur le territoire. » (F. B., maître de conférences).

« Oui, le terme "poltergeist" est très connu chez nous. En effet, il est indissociable des films dhorreur […]. il peut donc sagir dun esprit qui peut produire des bruits dans une maison, lancer des pierres, déplacer des meubles, provoquer des accidents ou des incendies, etc. Cela nous rappelle évidemment les “maisons hantées” rapportées depuis lAntiquité. » (K. W., professeur à Tokyo).

« Poltergeist… Je pense surtout au film du même nom, quant à donner une définition, dur, dur… La première qui me vient à lesprit, cest esprit frappeur, mais elle est sûrement fausse ! Concrètement, je pense en fait à une sorte desprit qui hante une demeure et qui rend la vie impossible aux gens qui ont le malheur de lhabiter. Il y en a un dans Harry Potter, dailleurs, Peeve, qui ne fait que des bêtises ! » (S. H., doctorante).

La présente étude se propose d’analyser l’évolution et l’interprétation des poltergeists sur la longue durée, contrairement aux érudits qui ont essentiellement travaillé en synchronie jusqu’ici. C’est le dernier volet de l’enquête entamée sur les êtres surnaturels en 1985, et qui nous avait amené à nous pencher sur les nains et les elfes, les génies du terroir et les génies domestiques (3). La découverte des liens qui unissent ces créatures nous a conduit tout naturellement aux esprits frappeurs qui, on le verra, jettent aussi un pont vers notre autre domaine de recherche, la mort et les morts. Un certain nombre de faits inexpliqués, dont les traditions populaires ont rendu compte à leur façon, a donné lieu, à la fin du XIXe siècle, à d’autres approches, celles du spiritisme et de la métapsychique pour l’essentiel.

Sans nous interdire de faire référence à ces mouvements de pensée, nous centrerons notre réflexion sur les traditions populaires, des traditions qui traversent les siècles et qui perdurent en dépit du cartésianisme ou de la connaissance d’autres types de croyances ou d’explications.

Comme à notre habitude, nous laisserons parler les textes et, avec la distance requise, en proposerons une analyse objective qui ne cherche pas à imposer un point de vue : libre à chacun de se forger sa propre opinion à partir des faits.

Gagny, décembre 2000-Toussaint 2006.

C. L.

Notes

(1) C. Flammarion, Les Maisons hantées, Paris, 1974 (Jai lu, A 247).

(2) Ph. Wallon, Expliquer le paranormal, Paris, Albin Michel, 1996, et Le paranormal, Paris, PUF, 2002 (Que sais-je ? 3424).

(3) C. Lecouteux, Les Nains et les Elfes au Moyen Âge, Paris, Imago, 1988. 3e éd. mise à jour, Paris, 2004 ; Démons et génies du terroir au Moyen Âge, Paris, Imago, 1995 ; La maison et ses génies : croyances d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Imago, 2000.

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