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Au cœur du quartier de la Trinité Saint-Estienne d’Orves, dans le 9e arrondissement de Paris, une modeste maison, d’aspect provincial, toise les promeneurs du haut de ses trois étages, au 14 de la rue de la Rochefoucauld. Ouvert au public depuis 1903, le Musée national Gustave Moreau est un lieu atypique dédié au peintre qui abrite plus de cinquante années de travail : peintures, dessins, cartons, bibelots, souvenirs de famille,… Léguée à l’Etat par testament en 1902, le parisien flâneur peut admirer l’œuvre de toute une vie d’artiste, un héritage rare qui révèle l’intimité d’un "alchimiste des couleurs", complice de Poussin, Degas et Chassériau. C’est ici, dans ce petit "laboratoire" sentimental qui flaire le mystère et la nostalgie, que nous avons convié Simon Marsden, photographe de l’étrange, à nous parler de son dernier livre publié chez Flammarion, La France hantée : Voyage d’un chasseur de fantômes.

Propos recueillis par Erick Fearson
Textes et traduction par Olivier Valentin

Pourquoi ce lieu ? C’est Marcel Proust qui, dans Contre Sainte-Beuve, nous donne la réponse : « La maison de Gustave Moreau maintenant qu’il est mort va devenir un musée. C’est ce qui doit être. Déjà de son vivant, la maison d’un poète n’est pas tout à fait une maison. On sent que, pour une part, ce qui s’y fait ne lui appartient déjà plus, est déjà à tous, et que souvent elle n’est pas la maison d’un homme ; souvent c’est-à-dire toutes les fois où il n’est plus que son âme la plus intérieure. Elle est comme les points idéaux du globe, comme l’équateur, comme les pôles, le lieu de rencontre de courants mystérieux. »

"Lieu de rencontre de courants mystérieux" où le noir et blanc de la photographie gothique de Marsden le disputent à la couleur expressive de Moreau ! Maison-Hantee.com voulait investir un lieu de mémoire et d’authenticité pour sonder les secrets de la France mystérieuse. D’autant plus que Gustave Moreau, artiste néo-classique et perfectionniste de la peinture symbolique, a emprunté au fantastique et à la mythologie les sujets de ses œuvres. Le photographe anglais des lieux les plus hantés de France est donc tombé naturellement sous le charme et l’inspiration du maître. En compagnie d’Erick Fearson, Simon Marsden a foulé le parquet craquant des appartements privés de Moreau, à la découverte de ses nombreuses collections. Prisonnier pour quelques heures d’une demeure qui échappe aujourd’hui au temps et au bruit, il a accepté d’associer ses confidences de photographe à l’atmosphère d’immortalité du musée.

Erick Fearson : Tout d’abord, je tenais à vous remercier pour La France Hantée qui restera un ouvrage de référence dans la littérature fantomatique française. Bravo aussi à Flammarion pour avoir apporté autant de soin à l’édition. Ce beau livre deviendra, j’en suis persuadé, un collector. Car il sort des sentiers battus ! C’est ce qui le distingue des autres livres en la matière. Effectivement, vous n’empruntez pas les chemins maintes fois foulés du folklore, du spiritualisme ou du scepticisme. C’est avant tout un ouvrage d’art qui est, pour moi, la façon la plus noble de perpétuer cet univers. Car toute œuvre d’art doit à la fois toucher le cœur, l’esprit et l’âme, sans nécessairement imposer une vision des choses.

Ce que vous faites admirablement avec vos photos et vos textes. Contrairement à d’autres livres qui restent uniquement théoriques ou qui ne sont que des compilations d’histoires de fantômes maintes fois entendues, vous êtes, avec La France Hantée, le témoin vivant du monde de l’invisible, présent en France comme ailleurs. En cela, merci encore !

Nous sommes au Musée Gustave Moreau, à Paris, qui fut la maison du peintre. Magnifique endroit "habité" par ses peintures fantastiques et mythologiques. À la vue de ses œuvres, je ne peux m’empêcher de croire qu’il fut, lui aussi, un "sensitif". Avec votre objectif, vous parvenez à exprimer l’invisible comme ont pu le faire de nombreux peintres au fil des siècles. Y a-t-il, dans ce domaine, des peintres qui vous touchent plus particulièrement ?

Simon Marsden : Comme par magie, vous avez choisi un lieu que j’ai toujours voulu visité. Je suis un grand admirateur des peintres symbolistes, en particulier Moreau, mais aussi Fernand Khnopff et Félicien Rops. Je pense que ces peintres, tout comme les Préraphaélites tels que Rossetti et Burne-Jones, étaient doués pour saisir l’invisible et le surnaturel à travers leurs œuvres.

Erick Fearson : Pour capter l’invisible, je sais que de nombreuses conditions doivent êtres réunies. Il faut être là, tout simplement, au bon moment. Parmi les lieux visités pour votre livre, y en a-t-il où l’étrange ne s’est pas manifesté, à votre grande surprise ?

Simon Marsden : Non. J’ai été extrêmement chanceux pendant ce voyage alors qu’on peut toujours s’attendre au contraire, comme vous dites. Merci à mon ange gardien !

Erick Fearson : D’après vous, faut-il des prédispositions particulières pour capter le monde de l’invisible ?

Simon Marsden : De toute évidence, il faut le vouloir et être disposé à ouvrir nos sens à la réalité et au surnaturel, deux mondes entre lesquels la frontière est souvent mince ? D’après Jonathan Swift, l’auteur des Voyages de Gulliver, « la vraie vision est celle qui nous permet de voir l’invisible ».

Avant sa mort en 1898, Gustave Moreau avait exigé que tous ses biens soient aménagés pour l’éternité. Dès 1895, faute d’héritier, il avait envisagé sa maison comme un musée pour assurer la pérennité de ses 14 000 pièces d’art, réparties sur trois niveaux, dont 8 000 dessins et calques conservés en réserve. A travers une muséographie inventive, le visiteur accède à 1 200 peintures, aquarelles et cartons qui rendent compte d’une œuvre magistrale et cohérente.

Grâce à une conservation soignée de ses quelques 5 000 dessins, présentés sur des panneaux pivotants, nous pouvons suivre la genèse de chaque création comme on feuillette un livre.

Assis au bureau du peintre, où il recevait ses élèves, ou dans la salle à manger du premier étage, au milieu des livres, des gravures et des céramiques, Simon Marsden nous confie ses anecdotes de chasseur de fantômes. Se prêtant à l’exercice du making of, il revient sur plusieurs mois d’enquête, nous racontant ce qu’il n’a pas eu le temps d’écrire.

Erick Fearson : Personnellement, j’ai recensé plus de 300 lieux hantés en France. Bien évidemment, je n’ai encore enquêté sur la totalité de ces lieux car cela représente une somme de travail, de temps et d’énergie assez considérable. Quant à vous, vous en avez sélectionné 56 pour La France Hantée. J’imagine combien la tâche a dû être longue et fastidieuse. Sur quels critères avez-vous fait votre choix ? Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans la préparation de votre voyage ?

Simon Marsden : Je suis parti d’une base de 220 lieux que j’ai retenus pour la charge émotionnelle de leur histoire et leur potentiel photographique. Puis, au fur et à mesure du voyage, j’en ai éliminé beaucoup pour différentes raisons : mauvais état de conservation, trop moderne (je préfère les vieilles ruines gothiques !), propriétaires non consentants pour être publiés ou mauvaise météo qui m’a empêché de faire mes photographies. Résultat : sur 70 sites soumis à l’éditeur, 56 ont été intégrés dans la version définitive du livre, faute de place ou pour éviter la redondance de certaines histoires.

Erick Fearson : D’après votre cartographie des lieux hantés, vous n’avez pas exploré l’Est de la France. Pourquoi ? Par manque de temps ? A défaut de lieux hantés dans cette région ? Ou bien vous a-t-elle moins inspiré que les autres ?

Simon Marsden : Principalement par manque de temps. La France est un pays très vaste et j’ai dû parcourir des kilomètres pour visiter tous les lieux sélectionnés. Il y a certainement de bonnes adresses dans l’Est. Sans doute pour un second volume, qui sait ? Quoi qu’il en soit, je reste ouvert à toute suggestion de lieux que j’aurais manqués.

Erick Fearson : Les contraintes éditoriales imposées par Flammarion ont limité la publication du nombre de récits, de photographies, et, par conséquent, de lieux hantés. Si vous deviez faire un second tome, que contiendrait-il ? Avez-vous quelques anecdotes inédites concernant votre voyage au cœur de la France hantée ?

Simon Marsden : Outre des lieux de l’Est de la France, un second tome inclurait probablement des sites corses et bien d’autres inédits. Mais j’espère en savoir plus dans les mois à venir sur la possibilité de faire des suites. Pour être honnête, je pense qu’il faudrait encore trois ou quatre volumes pour rendre pleinement hommage aux fantômes de la France hantée.

Erick Fearson : D’après votre expérience personnelle, y a-t-il une région plus hantée que les autres en France ? Plus réceptive au surnaturel ?

Simon Marsden : L’Auvergne fut pour moi la région la plus intéressante. Son paysage volcanique, d’une beauté sauvage et mystérieuse, semble avoir marqué ses habitants. Or, cette intimité avec la nature a donné naissance à des croyances populaires plus fortes que dans n’importe quelle autre région de France, à l’exception peut-être de la Bretagne.

Erick Fearson : Sur les lieux que vous évoquez dans votre livre, lequel fut le plus marquant ? Le plus éprouvant ?

Simon Marsden : Il y en a deux. Le Château de Randan, en Auvergne, que j’ai découvert par hasard. Pourtant, j’ai l’impression d’y avoir été attiré, ou guidé, pour une raison inexplicable. Le plus surprenant fut cette intense sensation de « déjà-vu », comme si j’y étais déjà allé. Impression renforcée dès le lendemain lorsque je suis tombé sur le catalogue de vente des articles du château, aujourd’hui en ruines (il a été détruit par un incendie en 1925), et que j’ai reconnu la plupart des pièces de mobilier, les peintures, les statues, etc. Mais je suis sûr que je n’y ai jamais mis les pieds de mon vivant. Et puis, il y a la Forteresse de Largoët, en Bretagne, où j’ai ressenti une menace dès mon arrivée comme si quelque chose ou quelqu’un me mettait en garde de ne pas approcher. J’aurais dû me fier à cet avertissement car, plus tard, alors que je prenais des photos à l’intérieur du donjon, le plus haut de France dit-on, j’ai été témoin d’une effrayante apparition. Il me semble avoir vu le fantôme d’un ancien prisonnier…

Dans la chambre à coucher, ancien salon de Pauline Moreau, la mère du peintre, il dispute une partie d’échecs avec Erick Fearson, en victime consentante des facéties du mentaliste. Au mur, les joueurs croisent les regards des portraits de famille, peints, dessinés ou photographiés. Moreau en personne semble leur adresser un regard complice. A moins qu’il n’ait été destiné une dernière fois à son ami Edgar Degas, auteur du portrait, avant que leurs relations ne se ternissent dans les années 1860…

Dans le boudoir, véritable sanctuaire à la mémoire d’Alexandrine Dureux, "meilleure et unique amie" du peintre, Marsden et Fearson jouent aux faux-semblants dans les miroirs qui réfléchissent à l’infini les échos du passé. Profondément éprouvé par la disparition de sa protégée, Moreau lui a dédié son Orphée sur la tombe d’Eurydice, une toile à résonance autobiographique, présente au musée, qui souligne la difficulté avec laquelle l’auteur a lutté, avec pinceaux et crayons, contre la mort de ses proches, notamment celle de sa petite sœur Camille âgée de 13 ans, en 1840. A cette époque, l’idée des fantômes, évoquant la possibilité d’une vie après la mort, devenait une forme de consolation et d’espérance pour lutter contre le chagrin d’un décès.

Erick Fearson : Dans l’imaginaire populaire, un fantôme est la manifestation de l’âme d’un défunt. D’après mon expérience, cela peut-être vrai. Mais ce n’est pas toujours le cas ! Une théorie que je privilégie est celle de la mémoire de la matière selon laquelle l’environnement, essentiellement la matière naturelle (bois, pierre, terre,…), tendrait à enregistrer l’événement dramatique survenu à cet endroit pour le restituer ensuite à la manière d’un vieux film projeté en boucle sous forme d’images, de sons et d’odeurs. Or, vous évoquez cette théorie à plusieurs reprises dans La France Hantée. C’est aussi votre conviction ?

Simon Marsden : En effet. Quelles sont les raisons profondes qui font que telle maison ou tel paysage sont hantés ? Deux hypothèses me semblent dignes d’intérêt.

La première est celle de la "théorie de l’enregistrement", incessamment débattue au sein de la communauté scientifique depuis des années. Selon cette théorie, certaines matières inertes, comme la pierre ou le bois, sont capables, en raison de leur composition chimique, de conserver l’impact d’actions ou d’émotions humaines intenses (la violence, la peur ou la souffrance), à la manière d’une pellicule photographique ou d’une bande-son. Elles peuvent être ainsi restituées sous certaines conditions et en présence d’une personne sensible aux émanations paranormales.

Parmi les nombreux exemples en Angleterre, le plus frappant que je connaisse est une maison hantée située au Pays de Galles : Plas Teg (cf. du même auteur Phantoms of the Isles, 1990). Ce lieu fortement chargé fut le théâtre de nombreux suicides et manifestations surnaturelles. On a beaucoup attribué ces tragédies à l’influence des poutres de l’édifice dont le bois provenait de vaisseaux de guerre du XVIIème siècle. Nul doute alors que les abbayes anciennes et les châteaux médiévaux recensés dans mon livre n’aient enregistré dans leur architecture des scènes dramatiques pour les restituer à certains sensitifs sous forme de visions ou de sons irréels.

La seconde hypothèse pour expliquer une hantise n’est pas si différente de la première.

Il existerait dans le monde une force surnaturelle ou énergie primaire émanant des profondeurs de la terre et se manifestant le long de lignes immémoriales appelées des "Ley". On les trouve à l’emplacement de sites sacrés, comme les cercles de pierre, les dolmens, les tumulus funéraires et les églises, érigés par nos ancêtres pour puiser cette source d’énergie. Or, c’est dans le champ de ces flux psychiques que se produisent quantité inhabituelle de phénomènes paranormaux. La grande diversité des comportements de l’homme, mais aussi des espèces animales ou végétales, révélés dans ces courants d’énergie, semblent confirmer l’existence de ces lignes géodésiques [NDT : la géodésique est le chemin le plus court entre deux points dans un espace courbé]. Nos ancêtres qui ont compris le rôle joué par ce pouvoir originel dans la position du soleil, de la lune et des étoiles ont associé leurs cérémonies mystiques et sacrificielles à cet ordonnancement céleste.

Nombre d’églises et de pierres levées ont survécu au temps. Certaines, en revanche, ont été détruites et leurs pierres réemployées dans d’autres constructions mais aux mêmes emplacements. Comment ne pas penser alors que les châteaux ou les demeures plus récentes ont pu conserver pendant des siècles le témoignage de scènes tragiques, meurtre, suicide, chagrin d'amour ? La multiplication des événements paranormaux en ces lieux donne foi à la présence et la puissance de cette énergie psychique et fait écho à la théorie de l’enregistrement.

Erick Fearson : À mon sens, démontrer l’existence ou la non-existence des fantômes n’est pas un but en soi. Tentative qui, de surcroît, nous empêche d’en saisir toute la signification. À force de vouloir comprendre le "comment", on en oublie le "pourquoi", plus fondamental. En outre, la question des fantômes est débattue depuis des siècles. Notre intellect nous pousse à dénier l’existence du surnaturel alors que notre sensibilité nous invite à croire le contraire. De même, il y a une sorte d’attraction-répulsion exercée sur chacun d’entre nous. Comment, même parmi les plus sceptiques, expliquer cette fascination qui perdure depuis la nuit des temps ?

Simon Marsden : C’est la mort qui nous fascine tous. Dès la naissance, notre préoccupation n’est pas la manière dont nous allons vivre mais comment nous allons mourir. Les fantômes font partie de cette aventure au cœur de l’inconnu car, d’une certaine façon, ils sont une "preuve" de la vie après la mort. D’après moi, les sceptiques réfutent leur existence car ils sont terrifiés à l’idée de ce qu’ils peuvent découvrir dans l’autre monde. Les fantômes aident l’homme à apprivoiser la peur qui dicte trop souvent sa vie. Tous nos actes ou nos manquements sont, en quelque sorte, influencés par cette pulsion de mort.

Tout dans le musée, des meubles aux collections, exprime la volonté de l’artiste de ralentir la course inexorable du temps. Dans ce décor auquel Odilon Redon reprochait, à tort, de « ne rien dire de la vie d’un homme qui eut la possibilité de poursuivre son même effort durant quarante ans », Simon Marsden se comporte en véritable archéologue. Usant de sa méthode d’investigation de lieux énigmatiques, il traverse les salons, sonde les murs, décrypte le langage des objets anciens et monte à l’atelier du peintre pour interroger l’âme du musée.

Le photographe est impressionné par l’immensité des toiles, souvent agrandies par le peintre au cours de leur histoire. Héritier des maîtres de la Renaissance, Gustave Moreau a donné de la hauteur à des personnages, sans cesse glorifiés, issus des plus grands événements de la mythologie ou du christianisme médiéval.

Simon Marsden s’arrête quelques instants devant les Chimères, grande toile datée de 1884, l’une des plus personnelles que le peintre ait exécutée. Dans un paysage arboré, des femmes sont associées à des animaux fantastiques. Le thème de la Chimère, monstre tricéphale vaincu par Bellophoron sur le dos de Pégase, fut cher à Moreau qui, après plusieurs variations, privilégia la scène du centaure ailé capturant la femme. Marsden se remémore ainsi les créatures statufiées du bestiaire fantastique qu’il n’a cessé de photographier au cours de son voyage sur les routes de la France hantée.

Erick Fearson : Vous êtes revenu sur le "territoire des ombres", autrement dit au cimetière du Père-Lachaise. Là-bas, sont inhumés quelques spirites fameux dont Gabriel Delanne, Leymarie, Bonne-Maman et surtout Allan Kardec. C’est lui qui a fixé les règles de la religion spirite, notamment avec son Livre des Esprits. Je peux comprendre certaines de ces règles bien qu’à l’image de toute religion, elle est dogmatique et conditionne notre façon de penser. Je regrette aussi le prosélytisme de certains spirites contemporains. Personnellement, le spiritisme est le moyen d’entrer en contact avec l’autre monde. Nous faisons volontairement la démarche d’aller vers l’autre monde pour tenter d’établir une communication. C’est un acte conscient et délibéré. Dans ce cas, nous sommes des étrangers qui envahissons cet univers. Alors que, dans le cadre d’une hantise, c’est le contraire qui se produit : un spectre vient faire une incursion dans notre réalité sans désir, de notre part, d’entrer en contact avec lui. Dans ce cas, nous subissons le phénomène plus que nous le souhaitons. Je fais donc une nette distinction entre le spiritualisme et l’univers des fantômes. Distinction que les spirites, et surtout le grand public, ne fait pas forcément. Pour beaucoup, le spiritisme et les fantômes ne sont qu’une seule et même chose. Et vous-même, qu’en pensez-vous ?

Simon Marsden : Je suis d’accord avec vous. Ce sont deux univers très distincts qui ne peuvent être confondus. J’ai croisé des gens qui, obnubilés à l’idée de voir un fantôme, n’hésitent pas à essayer toutes les techniques possibles comme les séances spirites, souvent sans succès ou alors truquées. Et puis, il y ceux qui ne font rien pour et sont néanmoins témoins d’apparitions ou autres manifestations paranormales, changeant leur vie à jamais.

Erick Fearson : Cela me fait penser à cette phrase d’Alexandre Dumas : « Les fantômes ne se montrent qu’à ceux qui doivent les voir ». Autrement dit, ils ne se manifestent jamais par hasard. La rencontre avec un fantôme n’est donc jamais fortuite. D’après moi, cette manifestation est toujours porteuse de sens, un sens spirituel, pour celui qui l’expérimente et a toujours quelque chose à nous apprendre sur le monde qui nous entoure et sur nous-mêmes. Vous ne trouvez pas ?

Simon Marsden : Tout à fait d’accord. Toutes les expériences paranormales qui me sont arrivées m’ont fait réfléchir, que ce soit l’apparition d’un fantôme ou tout autre phénomène comme la fois où j’ai été littéralement projeté à terre sur un site mégalithique en Angleterre. A chaque fois qu’une porte sur le mystère s’est ouverte à moi, cela a été positif. Toute ma vie, j’ai fait l’expérience d’étranges coïncidences qui m’ont effrayé jusqu’à ce que je comprenne qu’elles voulaient me dire quelque chose. Quand j’avais 6 ans, par exemple, je possédais une encyclopédie illustrée. Or, j’étais terrifié par l’image d’un raz-de-marée sur le point d’engloutir deux personnes courant sur une plage. J’en fis des cauchemars pendant des années. Jusqu’au jour où, en me promenant dans la lande, avec mes sœurs et leurs maris, près de notre résidence familiale, je suis tombé sur une vieille maison en ruine. Nous y sommes entrés mais il n’y avait plus rien à voir. Tout avait brûlé et la maison était abandonnée depuis des années. Mais, en ouvrant la porte d’un vieux placard mural, je suis tombé sur un livre. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir qu’il s’agissait de mon encyclopédie illustrée, ouverte à la page qui m’effrayait tant ! Dès lors, mon cauchemar a cessé. Ma bonne étoile avait parlé !

Au dernier étage auquel on accède par un curieux escalier en spirale construit en 1895 par l’architecte Albert Lafon, responsable des travaux d’aménagement du musée, une première salle est dominée par Jupiter et Sémélé, toile majeure de l’artiste qui révèle ses multiples influences. Au seuil de sa vie, Gustave Moreau a personnalisé le mythe de Jupiter, le Zeus de la mythologie romaine, amant de Sémélé avec qui il eut un fils caché, Dionysos. Voulant l’arracher à la colère de son épouse Héra, Zeus retira Dionysos du ventre de Sémélé pour le dissimuler dans sa cuisse. Deux mois plus tard, celui qui « allait sortir de la cuisse de Jupiter » devint le dieu du vin, de l’agriculture et protecteur du théâtre. En quête de spiritualité, Moreau a conféré à son tableau une atmosphère de sanctification. L’auteur commenta sa toile, feu d’artifice de couleurs éclatantes, en ces termes : « C’est une ascension vers les sphères supérieures, une montée des êtres épurés, purifiés par le divin, - la mort terrestre et l’apothéose dans l’immortalité.

Le grand mystère accompli, toute la nature est imprégnée d’idéal et de divin, tout se transforme. C’est un hymne à la divinité ».

Simon Marsden ne peut s’empêcher de comparer l’intention du peintre avec celle de l’alchimiste qui, par la réalisation du "grand œuvre", permet à l’initié de transmuter le plomb en or et, symboliquement, d’accéder à la purification et à la perfection de l’âme. D’ailleurs, Erick Fearson reconnaît dans l’agencement du musée, tout en hauteur, la volonté d’élever les visiteurs d’étage en étage jusqu’à la révélation du mystère Moreau : faire entrer en harmonie les âges de la vie de l’homme, les saisons, les heures du jour et la transformation d’une nature toujours magnifiée par la vision du poète. Mais sommes-nous réellement disposés à de telles initiations ?

Erick Fearson : En France, la question des fantômes et des maisons hantées reste taboue. Avez-vous rencontré quelques difficultés à faire parler les témoins de manifestations surnaturelles ? Les propriétaires de lieux hantés vous ont-ils ouvert facilement leurs portes ?

Simon Marsden : Plusieurs personnes m’ont averti que cela allait être difficile d’obtenir l’autorisation de photographier des lieux hantés et de faire parler les gens sur leurs histoires de fantômes puisque les Français sont trop cartésiens pour reconnaître l’existence des phénomènes surnaturels. Cependant, c’est tout le contraire qui s’est produit. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être le fait d’être étranger, un Anglais excentrique (rires) ? Ou bien ont-ils été rassurés par le sérieux de mes précédents ouvrages que je leur ai présentés. Je pense aussi que le concours de Flammarion, maison d’édition réputée très sérieuse, m’a été d’un précieux secours.

Erick Fearson : Un dernier mot pour maison-hantee.com ?

Simon Marsden : Mon éternelle reconnaissance pour votre aide sur ce livre. Pour une fois, je me suis senti moins seul. Très heureux d’avoir rencontré des assistants aussi attentionnés !

Devant le seul autoportrait de Moreau, Simon Marsden et Erick Fearson prennent la pose. Ils semblent vouloir profiter d’une dernière photo de famille pour rendre hommage à l’avant-dernier propriétaire des lieux.

Gustave Moreau s’est éteint le 18 avril 1898. Après des funérailles à l’église de la Trinité, il fut inhumé dans le caveau familial du cimetière Montparnasse, à quelques pas de la tombe d’Alexandrine Dureux, l’amie trop tôt disparue.

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Remerciements
Musée national Gustave Moreau
14, rue de la Rochefoucauld - 75009 Paris
Téléphone : 01 48 74 38 50
Ouvert tous les jours de 10 h à 12h45 et de 14h à 17h15. Fermeture le mardi.
Site web : http://www.musee-moreau.fr

© Photographies : Olivier Valentin et Cédric B.

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