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Dans le cadre du colloque "Le fantastique dévoilé" organisé par l'écrivain fantastique Manou Chintesco, du 1er au 10 février 2007 à Paris, Sébastien Socias, journaliste à L'Ecran Fantastique, a proposé une conférence sur les relations entre le cinéma et la littérature fantastique, depuis le muet jusqu'à nos jours. Il montre comment le cinéma a fréquemment revisité les grands classiques de la littérature d'épouvante, permettant à un genre littéraire souvent marginalisé de gagner en notoriété et ouvrant ainsi de nouvelles perspectives à la peur en tant que divertissement artistique. Mais la route est longue et semée d'embûches pour concilier deux modes d'expression qui se vampirisent à tour de rôle. L'un et l'autre ont pourtant offert au public des morceaux d'anthologie, le maître dépassant parfois l'élève ou l'inverse. En exclusivité sur le web pour Maison-Hantee.com, l'auteur nous a confié le texte intégral de son intervention.

Par Sébastien Socias

30, 32, 34, 35, 38, 48, 63, 74, ce sont les différents âges de Dracula à l’écran à travers quelques comédiens, de Udo Kier à Leslie Nielsen. On s’étonnera d’apprendre que Christopher Lee avait 35 ans qu’il incarna Dracula pour la première fois…

Ces quelques données chiffrées pour vous amener à considérer qu’un personnage de fiction est malléable à l’extrême dès lors que le cinéma s’en empare.

Cinéma qui a tendance ces dernières années à privilégier en matière de fantastique les adaptations de comic books (5 Batman, 5 Superman, 3 Spiderman, 3 X-Men….) et d’heroic fantasy (Le Seigneur des Anneaux), quand il ne pille pas la littérature pour ados (Narnia et Harry Potter).

Du coup, j’ai envie de me montrer provocateur pour commencer cette causerie sur les liens qui unissent la littérature fantastique et le cinéma. Et pour se faire, j’ai envie de vous poser la question suivante : que serait aujourd’hui la littérature fantastique sans le cinéma ?

Evidemment, un livre se suffit à lui-même. Mais quand un film, bon ou mauvais du reste, parvient à toucher en l’espace de quelques semaines quand il sort en salles des millions de personnes d’un bout à l’autre de la planète, combien de temps faut-il à un livre pour atteindre autant de lecteurs potentiels ?

Entendons nous bien. Je ne suis pas en train de dire que le cinéma est un art supérieur à la littérature. Au contraire.

Mais je crois indispensable de préciser que la force des images qu’il véhicule, à laquelle nous sommes désormais tous habitués comme allant de soi, a partiellement fini par supplanter la force évocatrice des descriptions littéraires pour de jeunes générations qui, de jeux vidéo en sites web, de DVD en chaînes thématiques, ont fatalement moins de temps libre à consacrer à la littérature sous sa forme traditionnelle.

De Frankenstein à Dracula, combien de spectateurs connaissent seulement les noms de Mary Shelley et de Bram Stocker quand ils peuvent vous mimer la démarche hésitante de la créature du Baron ou vous expliquer comment on éradique un vampire à coups de pieu fiché en plein cœur, sans jamais avoir lu ni l’un ni l’autre ?

La consécration du fantastique par le cinéma ?

J’ai envie également de vous demander si vous savez à quoi tient l’invention d’un personnage, le destin d’une œuvre et ce qui fait qu’elle marquera de son empreinte l’histoire du cinéma.

Je ne prendrai qu’un exemple parmi beaucoup d’autres. Vous connaissez tous, je le suppose, La Nuit du Chasseur, le seul et unique film dans tous les sens du terme mis en scène par Charles Laughton.

Un film inclassable, entre le film noir, le conte de fées en forme de cauchemar, la quête initiatique, la démonstration psychanalytique et l’évocation d’une Amérique révolue et idéalisée à la mode de D.W Griffith. Le film est d’une telle richesse, psychologique et visuelle, il fourmille de tellement de trouvailles que plus on le voit et plus on le redécouvre.

Ce film de 1955, magnifié par un noir et blanc onirique et porté par l’interprétation de Robert Mitchum en grand méchant loup humain, est tiré d’un roman de Davis Grubb. Grubb a créé le personnage du prédicateur fou, tueur impuissant et voleur impénitent, Harry Powell, en trouvant un couteau sur lequel ce nom était gravé. Et bien ce couteau, c’est celui dont se sert Robert Mitchum dans le film, pour supprimer Shelley Winters et accessoirement pour figurer une irrépressible érection dans une salle de spectacle quand la lame du couteau jaillit de sa poche, à force de jouer avec… Précisons que le film a été à l’époque un échec commercial et qu’il a mis du temps à acquérir son statut pleinement justifié de chef d’œuvre. Vous me direz que je suis de parti pris mais j’avoue humblement que c’est un de mes films préférés.

Passées dans l’imaginaire collectif par le biais du cinéma, les grandes œuvres littéraires fantastiques sont devenues immortelles à force de tourner en boucle sur les chaînes de télévision ou par le biais hier de la vidéo, aujourd’hui des DVD. On ne cesse de découvrir ou de redécouvrir ces perles noires et sang et de s’extasier sur la modernité de la plupart des thèmes qu’elles abordent de manière visionnaire.

Qui pourrait nier que le Baron Frankenstein n’a cessé de faire des émules et que des pseudos savants nazis aux généticiens actuels qui, peut être pour certains, ont déjà tenté clandestinement de pratiquer le clonage humain, la tentation est grande pour ceux qui croient détenir la vérité scientifique de défier les lois de la nature. Ou celles de Dieu pour celui qui nierait les théories de Darwin ?

La fiction, qu’elle soit littéraire ou cinématographique, a fini par être rattrapée par la réalité. Ce qui passait il y a seulement cinquante ans de cela pour de la science fiction est aujourd’hui devenue tout simplement de la science.

Et c’est probablement ce volet SF du fantastique, tant en littérature qu’au cinéma, qui a vieilli le plus mal.

Une réflexion en forme d’évidence s’impose à l’esprit quand on considère ce qu’est devenue aujourd’hui la littérature fantastique.

Que ce soit Shelley, Poe, Lovecraft ou Stoker, aucun de ces auteurs n’a seulement pu imaginer qu’un jour son œuvre connaîtrait les faveurs d’un média, le cinéma, qui n’était qu’une abstraction même pour l’imagination la plus fertile du 19ème siècle.

Depuis lors, que ce soit Stephen King, Anne Rice ou Clive Barker, voire Thomas Harris le créateur de Hannibal Lecter, les auteurs contemporains sont tous des enfants de l’image, bercés près du petit écran ou élevés dans le culte des séances du samedi et des programmes de drive in. Même s’ils n’écrivent pas directement pour le cinéma, le cinéma a nourri leur imaginaire.

On peut même dire de certains de leurs romans qu’ils sont écrits de manière scénarisée, comme pour anticiper un achat des droits d’adaptation à Hollywood.

Car après des années de vaches maigres, le fantastique au cinéma connaît depuis dix ans environ une renaissance flamboyante. Il hante les premières places du box-office américain et incite à une concurrence entre les grosses maisons de production comme on n’avait pas vu depuis les années 30.

Mais au fait, le cinéma fantastique, qu’est ce que c’est exactement ?

Le grand frisson

A l’instar du film noir, du burlesque, de la comédie musicale ou du western, on pourrait dire du fantastique à l’écran que c’est un genre tout à fait spécifique, reposant à présent sur ses propres codes et icônes.

On peut également le définir comme un fabuleux divertissement mais aussi un art subtil de la subversion, consciente ou inconsciente. Qui loin d’être manichéen renvoie souvent dos-à-dos le Bien et le Mal, brouillant les cartes, non sans malice.

C’est aussi le seul genre cinématographique qui déclenche sciemment la peur chez le spectateur.

Peur que le spectateur appelle de ses vœux, qu’il réclame en allant délibérément s’enfermer face à ses terreurs, comme on s’offre un tour de manège enchanté dans un wagon de train fantôme…

Une attraction à sensations, pour laquelle le spectateur paie sa place. Qui attend qu’on le surprenne, qu’on lui déclenche une frousse mémorable, qu’on lui procure de nouveaux frissons ou plus simplement qu’on lui permette de se changer les idées le temps de quelques bobines.

Du reste, autant l’acte de lecture est solitaire par excellence, autant le fait d’aller dans une salle obscure pour se faire raconter une histoire conduit forcément le spectateur, qu’il le veuille ou non, à partager ses émotions de manière collective.

Faire peur est à cet égard aussi délicat que de parvenir à faire rire un public venu là pour se procurer à bon compte son comptant d’émotions. Et le sentiment de peur ne se présumant pas, tant il se nourrit de nos phobies ou de nos craintes les plus élémentaires et les plus primitives, les plus intimes surtout, il faut rendre hommage à tous les créateurs, auteurs, réalisateurs, techniciens et comédiens qui sont parvenus, à travers les années et les modes à distiller de manière universelle ce troublant sentiment de peur, variable d’un spectateur à l’autre. Car, comme le précise si bien l’expression consacrée, n’oublions jamais que « tout cela, ce n’est que cinéma… ».

Ce sentiment de peur, Maupassant pour reprendre l’un des maîtres hexagonales du fantastique, le définissait, sans connaître du reste la force et l’impact de la peur magnifiée par le cinéma, comme « quelque chose d’effroyable, une sensation atroce, comme une décomposition de l’âme, un spasme affreux de la pensée et du cœur, dont le souvenir seul donne des frissons d’angoisse ». Peut-on être plus explicite ?

Fort opportunément, il se trouve que cette définition qui figure en bonne place dans le Petit Robert pour illustrer le mot peur, ce « phénomène psychologique qui accompagne la prise de conscience d’un danger réel ou imaginé », je cite de nouveau le dictionnaire, précède une autre citation, de Théodule Ribot, fondateur de la psychologie française, celle-là, qui précise que « chez beaucoup de gens, l’absence de peur n’est qu’une absence d’imagination ».

Certains pourraient vouloir réfuter cet argument mais si l’on aime le fantastique, c’est pourtant bien parce que l’on consent pleinement à se laisser entraîner au cœur de mondes plus ou moins imaginaires, fabriqués de toutes pièces par des auteurs ne manquant indéniablement pas d’imagination.

Ou capables de distordre leur propre réalité pour la confronter à la nôtre et nous offrir pour miroir de nos angoisses existentielles un roman filmique.

Miroir déformant ou miroir aux alouettes, chacun appréciera ensuite en fonction de son propre esprit critique. Il est indéniable en tout cas que le fantastique sait user d’un spectacle en apparence puéril pour en dire long sur l’état d’une société. Qu’on se souvienne seulement de la Nuit des Morts Vivants de George Romero, sorti en pleine guerre du Vietnam qui demeure un film politiquement dérangeant, au moins autant que Massacre à la Tronçonneuse demeure l’illustration macabre et mortifère des années de crise pétrolière, au beau milieu d’un Texas en pleine bérézina économique…

Un exemple parmi tant d’autres de la signifiance cachée de certains films, dits grand public ou plus vulgairement commerciaux : combien de spectateurs savent que le titre original des Griffes de la Nuit de Wes Craven, intronisant comme nouvelle vedette de l’horreur des années 80 le croquemitaine Freddy Krueger, était A Nightmare on Elm Street, littéralement « un cauchemar sur Elm Street » du nom de la rue de Dallas sur laquelle JFK fut abattu, plongeant symboliquement l’Amérique dans un cauchemar dont elle ne s’est peut être jamais remis…

Des origines du cinéma fantastique

Voyager au sein de cet univers magique nécessite de prendre quelques repères si on ne veut pas s’y perdre, car la gamme des films proposés y est vaste et disparate.

On pourrait d’ailleurs s’amuser avec le vocabulaire et écrire le mot repère comme celui d’un repaire de vampires ou de zombies pour être tout à fait dans le ton.

Pour essayer de comprendre ce qui lie intimement le cinéma et la littérature fantastique, il faut procéder avec méthode.

Fort heureusement pour faciliter notre démarche, le cinéma, contrairement à la littérature, est un art encore bien jeune, à peine centenaire, qui n’a connu à ce jour que quelques étapes majeures.

Et tout d’abord sa création proprement dite, sous la forme de courtes saynètes en noir et blanc. Rappelons à cette occasion que le Train entrant en gare de La Ciotat des frères Lumière déclencha une frousse indescriptible quand les premiers spectateurs de cette découverte balbutiante virent la locomotive leur foncer dessus depuis la toile blanche tendue devant eux ! Premier rendez vous avec la peur. Involontaire peut être mais indéniablement marquante.

Puis vint le passage du muet au parlant à une époque où l’on produisait déjà des longs métrages et non plus de simples sketches ou courts métrages pour remplir des stands forains. A la fin des années 20, le cinéma est largement devenu adulte, il ne connaît pas encore la censure et fonctionne déjà d’un point de vue économique aux Etats-Unis sous la férule de puissants studios hollywoodiens qui ont su transformer un commerce d’opportunistes et d’amateurs en industrie régentée par des professionnels du divertissement.

Aussi, quand le parlant révolutionne Hollywood et l’Europe, bon nombre de classiques de la littérature fantastique auront déjà été visités par les pionniers du 7ème Art.

Et tous auront été adaptés une, voire plusieurs fois, quand le noir et blanc pâtira de l’arrivée de la couleur et que le sang coulera du coup désormais abondamment sur les écrans planétaires. Bouleversement manifeste auquel on peut rattacher un évènement périphérique : l’invention de la télévision, concurrente directe et souvent déloyale du cinéma, qui ne se gênera pas non plus pour venir chasser sur les terres du fantastique au fil des années, à travers nombre de séries TV qui vaudraient à présent à elles seules plusieurs colloques.

Si on examine donc de manière chronologique l’histoire du cinéma, sans vouloir faire d’ailleurs vœu d’exhaustivité, aussi bien sur le plan géographique que quantitatif, car j’avoue fort modestement être bien incapable de parvenir à faire avec vous le tour de la question, on peut carrément remonter à la genèse du cinéma pour retrouver la trace des premières adaptations fantastiques à l’écran.

Du muet aux cris d’horreur

Sans vouloir faire preuve d’esprit cocardier, il se trouve que le précurseur de génie qui vient spontanément à l’esprit en la matière, est français. George Méliès, magicien de son état, en adaptant Jules Verne dont on ne rappellera jamais assez le génie visionnaire, avec l’inventivité dont témoigne les quelques films encore en circulation parmi les quelques centaines de films qu’on a pu recenser, a emmené nos arrières grands-parents et grands-parents dans la Lune à une époque - nous sommes en 1902 ! - où les avions volaient à peine sur de faibles distances !

En reprenant la trame déjà extravagante des aventures imaginées par Jules Verne, comme ce sera plus tard de nouveau le cas avec 20 000 lieux sous les mers, Méliès ne se contentait pas d’adapter Verne. Il inventait des trucages, jouait avec la caméra comme le magicien qu’il était avec ses accessoires fabuleux, inspirant sans le savoir des générations entières de cinéastes par son sens de la fantaisie et du merveilleux.

Dès les années 1900, on commence à recenser quelques courtes bandes à caractère fantastique, en France, aux Etats-Unis, Grande Bretagne et en Allemagne. Directement inspirées par les techniques du Baron Frankenstein, les saynètes mettent en scène un savant qui tente de ramener à la vie un animal ou de transplanter le cerveau de ce dernier sur un humain.

On citera par exemple, en 1907, The Electric Goose d’Alf Collins, produit par Pathé en Angleterre, dans lequel un courant électrique redonne vie à un repas de Noël !

Il faut attendre 1910 pour que Frankenstein connaisse sa première adaptation. Les films Edison produisent une version américaine réalisée par J. Searle Dawley, avec Augustus Philips dans le rôle du baron et Charles Stanton Ogle dans celui de la créature. Qui y arbore un look fantomatique et momifié du meilleur effet…

Les allemands proposent cinq ans plus tard une adaptation du Golem signée Henrik Galeen et Paul Wegener, par ailleurs interprète du Golem, que l’on retrouve également dans la version de 1916 et dans un remake comique de 1917. Ce qui tend à démontrer, contrairement à une idée largement répandue, que la mode des remakes est en fait un procédé presque aussi âgé que le cinéma lui-même !

Dès lors, on voit fleurir les serials un peu partout qui proposent sous la forme feuilletonesque de trépidantes aventures. Quand les allemands tremblent aux mésaventures de la star danoise Olaf Fonss alias Homonculus (1916) en tentant d’oublier l’horreur des tranchées, les parisiens vibrent non loin du front qui se rapprochent aux exploits de Fantômas (1914), de Musidora dans les Vampires (1915) puis de Judex (1917). Le prolifique et génial Louis Feuillade fournira à la chaîne de sublimes visions du Paris des fortifs et sera salué par les surréalistes comme leur devancier.

Dans une récente édition en DVD des Vampires dans une version restaurée, on apprend grâce à des témoignages enregistrés dans les années 50 et 60 des comédiens de l’époque, comment étaient tournés ces feuilletons, sur des plateaux incroyables où cohabitaient dans une fébrilité qu’on à de la peine à imaginer des comédies et des drames, du fantastique et des policiers. Comme tous ces films étaient muets, les décors étaient réutilisés d’une production à l’autre dans la foulée, les comédiens passant d’une cuisine à une salle de bal, en fonction des disponibilités et apprenant leurs dialogues à la volée, puisque bien qu’étant muet, les situations étaient jouées vocalement, des cartons insérés entre les plans venant résumer les dialogues aux spectateurs. Tout était écrit au fur et à mesure et il n’était pas rare, même pour une vedette, d’apprendre le matin même qu’elle quitterait la série dans la journée, les pieds devant, parce qu’elle avait osé réclamer une rallonge de cachet à la production !

La poésie qui se dégage aujourd’hui de ces films au parfum suranné édulcore sans doute la charge émotionnelle qu’il pouvait procurer à un public qui suivait dans les journaux avec appréhension l’avancée des combats de la Première Guerre Mondiale et qui n’avait pour tout divertissement populaire que le cinéma.

Pour revenir à Frankenstein, on ne compte jusqu’à l’avènement du parlant que trois versions filmiques de l’œuvre de Mary Shelley. La seconde date de 1915, elle est également américaine, elle est signée de Joseph Smiley et a pour vedette le comédien anglais Percy Darrell Standing. Elle s’intitule Life without soul (vie sans âme) mais le baron y a pour patronyme William Frawley, ce qui édulcore l’adaptation en tant que telle. En revanche, l’identité du baron est intacte dans la dernière version muette, italienne celle là, signée Eugenio Testa en 1920, Il Mostro di Frankenstein, film a priori perdu. A noter que c’est Luciano Albertini, producteur du film qui tient le rôle du baron et Umberto Guarracino celui de la créature.

Il faudra du reste attendre plusieurs décennies avant que les italiens ne s’intéressent de nouveau au mythe de Prométhée. Dans l’intervalle et toujours au temps du muet, les italiens forgeront leurs propres personnages de légende, tel Machiste qui s’en ira combattre aux Enfers, dans une version dont le scénario s’inspire officiellement des textes de Dante.

Nosferatu

Evidemment, quand on pense vampires du muet, on pense au Nosferatu de Murnau. L’histoire du film et le mystère qui l’entoure à donner lieu à un excellent film en 2001, l’Ombre du Vampire, avec John Malkovitch dans le rôle du réalisateur et Willem Dafoe dans celui de Max Schreck, interprète controversé du vampire. Controversé car Schreck demeure presque une énigme. On a longtemps cru qu’il était une invention de Murnau, pour ne pas dire une créature de Murnau, alors que ce comédien qui mesurait plus d’1m90 a promené sa longiligne silhouette dans plus de quarante films après Nosferatu. Son comte Orlok demeure dans toutes les mémoires. Il est un cauchemar personnifié et ne doit qu’à des problèmes de droits non négociés le fait de ne pas s’appeler Dracula… Car c’est bien de lui dont il s’agit. Malgré son apparence moins aristocratique que cadavérique ! Face à un Van Helsing, rebaptisé pour les besoins de la cause Pr. Bulwer, qui ne se détache pas du lot des autres seconds rôles, Schreck éclipse le reste de la distribution par son incroyable charisme vénéneux.

Hollywood a les dents longues…

Avec l’avènement du parlant, la donne change. Les studios américains sont devenus de véritables compagnies qui ont transformé un commerce de boutiquiers en une industrie qui se veut florissante et capable de dégager des bénéfices colossaux. Le star system se met en place et le but avoué est bien de produire sans trop de risque des succès à la pelle. Le krach boursier de 1929 laisse les Etats-Unis et l’Europe exsangue. Tandis que le fascisme prospère sur le vieux continent, contraignant nombre de réalisateurs et de techniciens ayant déjà largement fait leurs preuves à rejoindre Hollywood, les américains tentent de sortir de l’ornière économique et sociale en portant à la présidence Roosevelt et sa politique de grands travaux.

A Hollywood, on se tourne vers le théâtre pour sentir dans quelle direction souffle le vent du succès. Partant du principe que ce qui est bon sur les planches le sera sans trop de risques à l’écran, on essaie parallèlement de promouvoir de nouvelles vedettes de la scène en lieu et place de stars du muet qui ne passent pas la rampe du parlant.

Le monstre hollywoodien ayant sans cesse besoin de chair fraîche à livrer en pâture aux spectateurs, les studios Universal repèrent les premiers le fantastique potentiel du fantastique. En ces temps troublés, quel autre genre serait à même de fournir la catharsis nécessaire à exorciser les démons du public ?

Si Frankenstein avait déjà eu les faveurs du cinéma au temps du muet, Dracula n’avait pas eu cet honneur. Il faut dire que le roman était infiniment moins populaire que ne pouvaient l’être les exploits d’un Sherlock Holmes, héros positif malgré son penchant pour les opiacées, qui avaient le mérite de constituer une suite d’aventures alors que l’œuvre de Stocker demeurait unique et difficile d’abord, ne serait ce que de par sa forme épistolaire.

Toujours est-il qu’il faut attendre 1924 pour que le roman soit adapté sur scène. Avec un tel succès londonien, trois ans plus tard, qu’il finit par traverser l’Atlantique. Pour remporter un égal succès à Broadway. Le rôle principal y est tenu par un comédien d’origine austro-hongroise âgé de 45 ans, qui a déjà derrière lui une longue carrière dans son pays d’origine mais ne compte aux USA que des apparitions secondaires dans des productions exotiques d’un point de vue américain, où son accent fait très « couleur locale ». Bela Lugosi, puisque c’est bien évidemment lui dont il s’agit, se voit proposer de reprendre son rôle à l’écran et devant la caméra du maître Tod Browning suite à un tragique concours de circonstances.

Car Browning, qui compte à son actif les meilleurs films fantastiques ou films noirs des dix dernières années, a déjà un interprète tout trouvé pour le rôle titre : Lon Chaney. Bossu de Notre Dame (1923, Wallace Worsley), Fantôme de l’Opéra (1925, Rupert Julian), il est tour à tour pour Browning : ventriloque dans le Dernier des Trois (Browning), Janus à la Jekyll et Hyde dans The Blackbird (Browning), manchot magnifique dans The Unknown, monstre insaisissable et désormais invisible dans London After Midnight puisque le film a bel et bien disparu, cul de jatte dans West of Zanzibar. Mais un cancer de la gorge, attribué autant à une consommation immodérée de la cigarette qu’à un accident de tournage (il aurait avalé de la neige artificielle sur le plateau de son dernier film muet, Thunder en 1929), le foudroie en juillet 1930 à l’âge de 47 ans.

Surnommé l’homme aux mille visages, Lon Chaney a ouvert la voie aux futures vedettes du fantastique. Fils de parents muets, ses dons pour la pantomime rivalisaient avec ceux de Chaplin. Véritable caméléon, il laisse derrière lui une filmographie qui fascine toujours autant.

Sans cette disparition prématurée, c’est lui et non Lugosi qui aurait dû créer à l’écran le rôle de Dracula. Après les refus de Paul Muni et Conrad Veidt notamment, Browning se rabat donc sur le comédien qui triomphe sur scène et se contente de le filmer sans relief, fidèle à la seule adaptation scénique du roman. Si aujourd’hui le film a bien vieilli et qu’on a tendance à le considérer comme l’un des moins bons longs métrages de Browning, c’est l’interprétation de Lugosi qui semble la plus datée. Son jeu théâtral n’a rien de naturel, ses effets sont appuyés et son pouvoir de séduction laisse à désirer. Il n’a pas vraiment la beauté du diable et s’empêtre presque dans sa cape à force d’effets de manches. Mais le film a fait date et permet d’apprécier le travail de Karl Freund, qui a su merveilleusement rendre l’atmosphère gothique du roman.

Parallèlement à ce Dracula, se tournait dans les mêmes décors une version mexicaine. D’après Patrick Brion, le producteur Paul Kohner, cherchant un moyen de retenir à Hollywood sa maîtresse Lupita Tovar qu’il épousa par la suite, demanda et obtint l’autorisation de tourner une version mexicaine, plus longue (102’ contre 78’) et au final plus aboutie. Signée Georges Melford, elle a pour vedette Carlos Villarias est reprend elle aussi la dramaturgie de la pièce, mais avec plus de conviction.

Dracula triomphe au box office. L’engouement avéré du public pour le film d’horreur persuade les patrons d’Universal qu’ils tiennent là un très bon filon. Ce que semble penser également les autres studios. La bagarre est lancée pour le plus grand plaisir du spectateur et pendant plusieurs années, les chefs d’œuvre vont se succéder jusqu’à ce que le genre se désintègre.

Les nouveaux visages du cinéma d’épouvante

Si on doit faire la liste des films d’horreur produits par Hollywood à partir de 1931, on a rapidement le vertige. Pratiquement tous tirés de romans, de nouvelles ou de pièces, ils constituent le panthéon du genre et font toujours autant rêver. Les grandes figures de méchants se répondent les unes aux autres en un catalogue de fourberies, de félonies et de machiavélismes en tous genres dans lequel on peut distinguer trois typologies :

1/ Le tueur impitoyable, vampire ou chasseur psychopathe, qui prend l’apparence le plus souvent d’un comte européen, aristocrate exilé, qui menace les fondements de la société américaine quand bien même l’action se situe le plus souvent en Europe ou dans des endroits improbables comme dans l’île sur laquelle règne le Comte Zaroff et ses impitoyables chasses ;

2/ Les monstres, qui sont le plus souvent également des victimes, de la créature de Frankenstein au loup garou en passant par les cobayes du Dr Moreau ;

3/ Les savants et médecins plus ou moins fous, qui expérimentent sur eux-mêmes quand ils sont courageux ou inconscients leurs propres formules magiques (on pense à l’homme invisible et à Jekyll) ou sur les autres comme Frankenstein ou le Dr Moreau.

Universal garde la main après le succès de Dracula en montant Frankenstein. Pour l’anecdote, il faut savoir que le rôle de la créature avait été proposé et testé sur Bela Lugosi qui dédaigna l’offre en arguant notamment du fait que sous un tel maquillage, on ne le reconnaîtrait pas, que cela ne pourrait donc servir sa carrière et que de toute façon un rôle muet de créature décérébrée pouvait bien être tenu par un débutant ! L’ironie du sort voudra que douze ans plus tard, déjà en perte de vitesse, il accepte d’affronter le fils de Lon Chaney Jr grimé en loup-garou dans Frankenstein meets the Wolf Man, après que Chaney ait dû renoncer à tenir les deux rôles car, d’un point de vue purement pratique, le maquiller pour les deux rôles prenait trop de temps !

Le très britannique William Henry Pratt, alias Boris Karloff se prêta de bonne grâce à d’interminables séances de maquillage pour se transformer en monstre, puisqu’il fallait rien moins que 3h30 pour le rendre méconnaissable et 1h30 pour lui rendre visage humain !

La direction d’acteurs de James Whale, la beauté des décors qui sont pour certains directement empruntés à Dracula, la force poétique de certains plans qui font en quelque sorte la transition entre le muet et le parlant et composent des tableaux vivants proprement saisissants (comment ne pas songer à la rencontre du monstre et de la petite fille), ont largement concouru à faire de Frankenstein l’archétype du film d’horreur gothique par excellence. Au-delà du label fantastique, c’est tout simplement l’un des plus grands films de l’époque.

Paramount ne s’y trompe d’ailleurs pas qui lance aussitôt en chantier en guise de réplique son Dr Jekyll et Mr Hyde. Après plusieurs versions muettes, on citera celles de 1913 d’Herbert Brenon avec King Baggot et celle de 1920 de John Robertson avec la star John Barrymore dans le double rôle titre, c’est au tour de Fredric March de camper les deux rôles. Sa prestation lui vaut un des premiers Oscars distribués par l’Académie. Même si la version de Mamoulian est inférieure à celle que réalisera Victor Fleming avec Spencer Tracy, elle utilise les comédiens à contre emploi et donne à apprécier une vision assez fidèle du roman de Stevenson. Pour l’anecdote, il faut savoir que l’idée du roman était venue à Stevenson au cours d’un rêve, transformé en conte, intitulé « Le compagnon de voyage » dont l’auteur détruisit le manuscrit avant qu’il ne le transforme en Cas du Dr Jekyll et Mr Hyde. Né deux ans avant que Jack l’Eventreur ne défraie la chronique, Hyde est un peu une prémonition littéraire, annonciateur d’un démon sortant lui aussi la nuit pour s’attaquer pareillement à des prostituées et défier la puritaine bonne société victorienne. Hasard ou coïncidence, difficile de se prononcer…

Foire aux monstres et monstres de foire

Comme les personnages difformes et monstrueux semblent avoir la côte, la MGM décide de ne pas être en reste. On le sait, la MGM a toujours voulu s’arroger le titre de studio des stars et de star des studios. Aussi quand elle envisage de faire un film de monstres, elle ne peut elle pas faire les choses de manière mesquine. Puisque le public veut des monstres, il en va en avoir ! Et pas des monstres de carton pâte ou des déguisements de mardi gras ! Des vrais monstres ! L’avisé producteur Irving Thalberg passe commande au scénariste Willis Goldberg d’une histoire susceptible de contrer le monopole naissant de l’Universal en matière d’horreur.

On peut dire que le résultat sera à la hauteur des espérances artistiques de Thalberg. Beaucoup moins de celles financières de Louis B. Mayer qui perdra 164 000 dollars à la sortie du film, si controversé qu’il restera interdit en Angleterre pendant 30 ans !

Ce film, c’est bien évidemment Freaks de Tod Browning. Ce rassemblement de monstres, qui sont bel et bien des êtres humains, sans maquillage aucun, recrutés dans des cirques dans lesquels ils s’exhibaient en véritables phénomènes de foire, n’a pas d’équivalent dans l’histoire du cinéma.

Autant Elephant Man confine-t-il à la performance d’acteur de la part de John Hurt et à la reconstitution historique soignée de l’époque victorienne, autant Freaks apparaît comme un film cru, dans lequel les comédiens incarnent leurs propres rôles, au cœur d’une espèce de zoo humain improbable. Même si le film n’est que l’adaptation d’une histoire écrite spécialement pour le cinéma, il déclenche un tel malaise à chaque projection qu’on ne peut pas ne pas le citer. Il faut par exemple savoir que lors du tournage dans les studios de la MGM, des pétitions circulaient pour demander que certains acteurs jugés trop repoussants physiquement ne viennent pas faire table commune à la cantine avec les autres membres de l’écurie Métro. Un racisme anti monstres en quelque sorte…. Présentant des personnages mutilés physiquement et affectivement (on pense à celle par qui le drame arrive), le film sera lui-même mutilé lors de son montage final mais curieusement non censuré par les autorités de l’époque. A l’évidence, le code Hays l’aurait tout bonnement envoyé au pilon à quelques années près.

Si la MGM se remet facilement de cet échec commercial, Universal se débrouille plutôt bien dans le même temps dans son exploitation finaude du fantastique.

Histoires de singes

Edgar Poe fournit opportunément la matière d’un film de monstre, costumé celui là, avec le gorille tueur du Double Assassinat dans la rue Morgue de Robert Florey, lequel aurait dû au départ diriger Frankenstein. Ce cadeau de consolation baigne dans une atmosphère véritablement noire, reprenant les décors de Notre Dame de Paris, du Fantôme de l’Opéra avec Lon Chaney et même de Dracula, repeints d’un étrange coloris mélange de suie et de craie, ce qui confère aux décors un côté estampes typique des années 1840. La vraie réussite du film se situe moins sur le plan de l’interprétation, puisqu’on y retrouve un Bela Lugosi en méchant tout bouclé assez croquignolesque, que d’un point de vue esthétique. Le chef opérateur n’est autre que Karl Freund, bras droit de Murnau et Fritz Lang, qui fait le pont entre l’expressionnisme allemand et l’Universal touch dont il sera en matière de fantastique l’un des principaux artisans.

En cette même année, on compte au moins 4 autres films importants dont les titres sont toujours aussi évocateurs à nos oreilles. La MGM se refait immédiatement une santé commerciale en proposant une version de la Belle et la Bête exotique, avant King Kong, en reprenant à son compte la légende de Tarzan d’après Rice Burroughs. Johnny Weissmuller succède à Elmo Lincoln qui créa le rôle titre du temps du muet et immortalise à jamais le cri de l’Homme Singe dans sa jungle de carton. Souvent sadique, ce premier opus ressemble en fait à un cauchemar est s’apparente moins à un film pour enfants qu’à un conte de fées africain pour adultes.

Comme une réponse à cette incursion dans un univers exotique qui dépayse totalement un public masculin ébahi, qui n’en revient pas de voir le héros combattre presque à mains nues un crocodile et des lions déchaînés tout en reluquant Maureen O’Sullivan dont le pagne laisse largement apprécier les appâts non censurés, la RKO propose une course poursuite haletante dans une végétation luxuriante plus inextricable que celle de Tarzan.

Avec l’adaptation d’une nouvelle de Richard Connell, The Most Dangerous Game, Ernest Schoedsack et Irving Pichel nous entraînent dans les Chasses du Comte Zaroff. Un noble européen perdu au milieu de nulle part, régnant depuis son castel sur un îlot rocheux transformé en terrain de chasse à l’homme pour infortunés naufragés ; les points communs avec un certain comte Dracula ne manquent pas. A ceci près, d’un point de vue purement interprétatif, que Leslie Banks y est autrement plus glaçant et convaincant en traqueur halluciné que Lugosi ne pouvait l’être en Dracula...

En veine de méchants à haïr, le public retrouve, derrière le lion de la MGM, Boris Karloff grimé en docteur asiatique hégémonique, prêt à dominer le monde à la manière d’un adversaire de James Bond 007 dont il est un peu l’archétype. Dans Le Masque de Fu Manchu, Karloff est tout bonnement grandiose. Les décors ne sont pas en reste et les supplices exercés à l’encontre des ennemis de Fu Manchu sont d’un tel raffinement qu’une fois encore, il faut avoir en tête le fait que la censure n’existait pratiquement pas à l’époque…

Des acteurs sous toutes les coutures

Karloff devient alors une star de l’horreur en l’espace de trois films. Après le monstre de Frankenstein puis le diabolique péril jaune en kimono imaginé par Sax Rohmer, le revoilà, toujours en 1932, sous les traits bandés de La Momie. Même si le film ne relève pas d’une adaptation littéraire mais plutôt de l’exploitation de faits divers ayant entouré la découverte de la sépulture de Toutankhamon, il vaut d’être signalé car il constitue la première réalisation de Karl Freund dont on admire ici le style. Le pauvre Karloff devait endurer 8 heures de maquillage pour se transformer en Imo Thep et devenir ainsi l’une des icônes du genre par excellence. Universal pouvait asseoir grâce à lui sa domination sur la profession en matière de fantastique.

Et ce malgré une concurrence croissante. Car il faut bien comprendre que, dans chaque studio, on réfléchissait à la manière de supplanter cet encombrant rival en renchérissant sur le plan du spectaculaire.

En 1933, l’imagination prend le pouvoir et les figures mythiques du genre naissent toutes en même temps.

Après le cirque de Freaks pour la MGM, la Paramount adapte H.G Wells et lâche ses propres monstres sur l’Ile du Dr Moreau. Elle convoque d’ailleurs Bela Lugosi à la fête et propose le rôle titre à l’un des plus grands comédiens de l’époque : Charles Laughton. Le résultat artistique n’est pas de première grandeur mais le film aura tout de même droit par la suite à deux remakes, avec Burt Lancaster et Marlon Brando dans le rôle titre. Et aura le redoutable mérite d’être purement et simplement interdit en Angleterre.

H.G Wells inspire à son tour Universal qui réplique en demandant à James Whale de tourner un Homme Invisible avec Claude Rains. Le film fonctionne plutôt bien même si par définition, le processus d’invisibilité est assez limité en termes de sensationnalisme. La transformation du héros est forcément moins spectaculaire que celle du Dr Jekyll. Ses affres psychologiques sont néanmoins toujours d’actualité et on ne pourra qu’apprécier que l’immense John Carpenter s’intéresse à son sort dans un excellent remake.

La Paramount opte pour la fantaisie de Lewis Carroll en adaptant Alice au Pays des Merveilles et ses créatures plus ou moins insensées. Mais trop de vedettes méconnaissables sous leur maquillage et une volonté délibérée de trop en faire sans discernement rendent le projet pour le moins bancal. Ainsi, je cite pour l’anecdote l’ouvrage de Patrick Brion sur le fantastique américain, quand Joseph Manckiwicz, futur metteur en scène de The Ghost and Mrs Muir demanda au responsable de la production à la Paramount s’il voulait qu’il adapte Alice au Pays des Merveilles ou Alice à travers le miroir, sachant que mélanger les deux était infaisable, on lui répondit « puisqu’on a acheté les droits des deux livres, utilisez les tous les deux ! »).

Mais le grand succès de l’année c’est évidemment King Kong. Qui n’est pas une adaptation littéraire, si ce n’est qu’il reprend à son compte le conte de la Belle et la Bête, à sa manière, se jouant de tous les tabous en rendant possible quoique forcément tragique l’issue de la passion entre un singe géant et une splendide jeune femme ! Le pouvoir onirique de ce film est tel que ce n’est certainement pas la version très Walt Disney qu’en a donné récemment Peter Jackson qui édulcorera des images qui nous hantent à jamais, quand Kong s’empare du présent que les indigènes lui font ou qu’il tente de combattre du haut de l’Empire State une escadrille infernale qui aura raison de sa toute puissance.

King Kong ne remet cependant pas en cause la suprématie de l’Universal qui produit en 1934 Le Chat Noir et le Corbeau d’après Edgar Poe. Edgar Ulmer et Louis Friedlander réunissent coup sur coup le tandem Karloff / Lugosi pour des adaptations réussies. Si réussies, si noires, si malsaines qu’une fois de plus, l’Angleterre censure ces produits d’importation. Devant une telle levée de boucliers, qui font appel à la fois à un évident puritanisme mais aussi à la volonté de la production cinématographique britannique de se préserver de la déferlante hollywoodienne, Universal se ravise et commence à tarir sa source fantastique. Notons pour l’anecdote que le criminel du Corbeau campé par Karloff se nomme Bateman, comme le tueur psychopathe de l’American Psycho de Brett Easton Ellis.

En 1935, la MGM propose néanmoins à Karl Freund de réaliser ce qui sera son dernier film avant qu’il ne retourne au statut de technicien et termine notamment sa carrière sur les plateaux du show comique de Lucille Ball. Avec Mad Love, plus connu en France sous le titre des Mains d’Orlac d’après Maurice Renard, il signe un chant du cygne prématuré de toute beauté, avec un Peter Lorre en Dr Gogol qui fait quant à lui ses premières armes comme vedette à Hollywood après un second rôle remarqué dans la première version de l’Homme qui en savait trop d’Hitchcock.

Maurice Renard avait déjà connu une première adaptation de son œuvre phare, en Allemagne en 1924, grâce à Robert Wiener et Conrad Veidt et aura post mortem les faveurs de l’écran grâce au remake d’Edmund T. Gréville avec Mel Ferrer et Christopher Lee.

Quant à la Paramount, elle livre en 1935, avec Peter Ibbetson, d’après George du Maurier, grand-père de la Daphné du Maurier de Rebecca et de l’Auberge de la Jamaïque, signé par Henry Hathaway que l’on associe plus volontiers aux derniers bons westerns de John Wayne ou au Niagara qui magnifiait Marilyn Monroe, un chef d’œuvre qualifié de « prodigieux triomphe de la pensée surréaliste » par André Breton, dans lequel Gary Cooper transcende la mort par amour pour Ann Harding. Un film d’un romantisme échevelé, film de fantômes où le temps qui passe est le seul monstre à combattre.

La guerre du rêve

De plus en plus inclassables, les œuvres fantastiques font place à mesure que la seconde guerre mondiale se rapproche à des films de guerre, des comédies musicales ou pas, des westerns ou des polars. L’heure n’est plus à se faire peur. On veut du rêve et la MGM décide d’en offrir une pleine brassée aux spectateurs du monde entier en lançant le chantier du Magicien d’Oz. En 1939, le film sortira d’ailleurs quelques jours avant que les déclarations de guerre ne se multiplient en Europe, comme le témoignage d’une époque fantasmatique presque révolue.

Ce qu’il y a de remarquable avec ce film, c’est moins ce que l’on sait et qu’on éprouve en le regardant que ce que l’on en ignore généralement. La légende veut qu’un milliard de personnes ait vu l’adaptation du populaire roman de L. Frank Baum mais combien savent que personne à la MGM ne prédisait un tel succès ? Si on s’en tient seulement au générique, il doit tout au hasard. Judy Garland ne joua Dorothy que parce qu’à la Fox, Zanuck refusait de prêter sa star Shirley Temple et que Universal ne voulut pas non plus prêter Deanna Durbin. Sept comédiens devaient jouer le professeur Marvel avant Frank Morgan dont WC Fields et Wallace Beery ; quant à Jack Haley, il n’est devenu l’Homme en Fer Blanc qu’après que le maquillage en aluminium ait empêché Buddy Ebsen de tenir le rôle. Attribué à Victor Fleming, le film a été commencé par Richard Thorpe et eut pour directeurs successifs George Cukor, Victor Fleming et enfin King Vidor qui assura l’intérim quand Fleming sera appelé à la rescousse pour remplacer Cukor, une fois encore et la même année, sur le plateau d’Autant en emporte le vent, autre succès phénoménal de la MGM.

Dans cette comédie musicale, la monstruosité est sublimée par le Technicolor, au point que l’on retrouve le couple nain vedette de Freaks, certes dans des rôles secondaires, mais sans que cela ne perturbe l’auditoire. Un brin de distanciation chanté et dansé peut parfois faire passer bien des outrances visuelles qui s’avèreraient choquantes dans un contexte plus réaliste.

Le choc des titans

Signalons enfin que dans les années 1940, Universal procède à une résurrection opportune de ses monstres « maison », en faisant s’opposer ses créatures entre elles. Comme dans House of Frankenstein en 1944 dans lequel Boris Karloff dans un rôle de savant fou redonne vie à Dracula, campé fidèlement au portrait de Stoker par un John Carradine avec moustaches. Suivi en 1945 par un House of Dracula dans lequel Carradine reprend du service pour affronter Lon Chaney Jr en loup-garou.

Nous pourrions dès à présent conclure cette conférence dans la mesure où tout ce qui suivra en termes cinématographiques ne sera par la suite que remakes et redites, resucées et réadaptations. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin et en si bonne compagnie ?

La France, parent pauvre du fantastique à l’écran

Je vous propose donc de revenir en France pour nous apercevoir que notre pays demeure le parent pauvre du cinéma fantastique. Curieusement, malgré des écrivains aussi talentueux que Maupassant et son Horla, Mérimée et sa Vénus d’Isle, l’Homme qui Rit d’Hugo, les plumes de Pierre Souvestre et Marcel Allain et celle d’un Gaston Leroux dont Rouletabille et Chéri-Bibi seront les seuls personnages à trouver grâce aux yeux des réalisateurs français (notons qu’aucune version française du Fantôme de l’Opéra n’existe à ce jour !), la France n’est pas à l’écran en tout cas le pays du fantastique. Si par la suite la télévision produira nombre d’adaptations et de programmes originaux notamment au glorieux temps de l’ORTF, c’est au théâtre et notamment sur la scène du Théâtre de Grand Guignol de l’impasse Chaptal que le genre horrifique donna la pleine mesure du talent d’auteurs tels que André de Lorde. Curieusement, ce genre à part entière qui ouvre la voie au gore lancé au cinéma par Hershell Gordon Lewis avec Blood Feast et 2000 Maniacs s’est exporté et perdure à l’étranger de nos jours alors que seul un cinéaste comme Jean Marboeuf aura la bonne idée de lui rendre hommage dans un film du même nom en 1986.

Combien spontanément peut on citer d’œuvres françaises ayant trait au fantastique et qui sont qui plus est des adaptations ? Très peu en fait. On pense peut être à la version muette de la Chute de la Maison Usher par Jean Epstein en 1928 dont on doit l’adaptation à Bunuel. Puis à la veille de la deuxième guerre mondiale, à la Charrette Fantôme de Pierre Chenal avec Pierre Fresnay, d’après un roman de Selma Lagerlof, auteur des planantes aventures enfantines de Nils Holgerson. Aux Visiteurs du Soir pendant l’Occupation mais qui n’est pas une adaptation mais un scénario original de Prévert. Et puis évidemment, au sortir de la guerre, comme on s’éveille d’un très mauvais rêve, émerge la poésie de Cocteau et sa version de La Belle et la Bête d’après Jeanne-Marie Le Prince de Beaumont. Quand Disney reprenait le flambeau du fantastique en 1937 en produisant en couleurs Blanche Neige et les Sept Nains d’après les frères Grimm, Cocteau entreprenait en noir et blanc de raconter une histoire d’amour impossible où le merveilleux a des allures de baroque absolu (qui ne se souvient de ces porte-chandeliers humains émergeant des murs…).

Exceptées les Yeux sans Visage de Georges Franju, seul chef d’œuvre des années 1960 qu’il inaugure magistralement, il faut attendre les années 70 pour voir des œuvres comme La Bête de Valerian Borowczyk ou la quarantaine de films de qualité diverse signée Jean Rollin, souvent mâtinés d’érotisme explicite, sonner le timide renouveau du fantastique en France. La Belgique avec Malpertuis et surtout Les Lèvres Rouges d’Harry Kumel, avec Delphine Seyrig dans le rôle de la sanguinaire comtesse Bathory agrémente en 1971 ce piètre palmarès hexagonal.

Au regard de ce que Hollywood a produit dans les années trente, tous genres confondus, la France fait pâle figure. Peut être doit-on tout simplement considérer que notre esprit cartésien s’accommode mal d’histoires de fantômes, de revenants, de vampires et de monstres. Notre folklore régional ne manque pourtant pas d’histoires de maisons hantées, d’émules ou de précurseurs de Dracula (qu’on pense seulement à Gilles de Rais), de créatures insaisissables comme la bête du Gévaudan ou de cités disparues sous les eaux.

La Hammer déterre les cadavres

Heureusement pour l’amateur d’horreur, la résurrection allait venir d’Angleterre sous le label d’une compagnie devenue mythique : la Hammer.

Son maître incontesté, Terence Fisher, reprit à son compte en une dizaine d’années toutes les icônes du genre, de la créature de Frankenstein à la Momie, de Dracula au Fantôme de l’Opéra, du Loup Garou au Dr Jekyll en passant par le Sherlock Holmes du Chien des Baskerville. Il faudrait des heures pour louer en la disséquant film par film l’œuvre de Fisher. Tournant en couleurs, contrairement à ces aînés de l’Universal, il bénéficiait de la violence des couleurs, le sang devenant un personnage à part entière de ses récits horrifiques. Sensible au cadrage mais aussi aux décors, qui rendent toujours crédibles l’atmosphère gothique flamboyante que distillent ces films, il dirige ses acteurs le plus intuitivement du monde, à l’émotion (c’est ainsi qu’il se définit), sachant que les moyens du bord ne leur permettent guère de répéter (on ne dépasse pas souvent les 30 jours de tournage à la Hammer et une journée de lecture du scénario peut suffire à s’imprégner de ce dernier pour l’équipe).

Avec sa magic touch, des films qui auraient pu ne pas dépasser le stade de simples œuvres de commande puisque Fisher n’était nullement maître de ses sujets, sont devenus des classiques. Sans doute un peu aussi grâce à son duo fétiche.

Entre l’aristocratie plus ou moins démoniaque de Peter Cushing, suivant que ses obsessions l’entraînent à lutter contre Dracula ou à repousser les limites de la mort en Frankenstein, et la stature de Commandeur de Christopher Lee, jamais aussi impressionnant que lorsqu’il se tait (dès que son Dracula deviendra parlant et excessivement bavard, la peur s’amenuisera….).

Pour l’anecdote, il faut savoir que Christopher Lee ne toucha que 500 livres pour incarner la créature de Frankenstein et 750 livres pour ressusciter Dracula dans Le Cauchemar de Dracula, comme quoi le crime ne paie pas toujours à l’écran !

A la Hammer, Dracula est le personnage central des films de vampires. Du reste il n’est pas systématiquement opposé à Van Helsing et donc à Peter Cushing. Ce peut être ainsi un prêtre qui l’affronte comme dans Dracula, Prince des Ténèbres en 1966. Du reste, il faut avoir en mémoire le fait que le premier opus de ce qui n’est pas exactement une série, au sens concerté et prémédité du terme, se termine par une mort radicale de Dracula, dont les cendres sont même balayées par un vent salutaire qui les disperse, semble t-il !, à jamais. Les procédés qui redonneront par la suite vie au comte seront aussi multiples et parfois alambiqués que ceux permettant de l’éradiquer en fin de programme, entre les flammes qui le dévorent à l’aube quand le soleil apparaît, l’eau vive de ses douves qui l’engloutisse ou la roue accidentée d’un fiacre qui se transforme en pieu expiatoire.

Moins que le comte, c’est l’attitude de Van Hesling qui vaut d’être examinée à la loupe comme dans le Cauchemar de Dracula. Van Hesling apparaît au bout de vingt minutes, il arrive en Transylvanie pour venger son disciple Jonathan Harker et connaît tout des vampires, se présentant lui-même comme le dernier rempart du monde occidental face à cette terreur. Il parle de lui à la 3ème personne quand il discute avec les autochtones comme ces derniers le font en parlant de Dracula. La mise en scène de Fisher est à cet égard parfaitement habile. La première chose que l’on distingue de Van Helsing, c’est sa main et non son visage. Homme d’action, il agit seul, se déplace dans le château de son ennemi comme en terrain de connaissance, enregistre ses impressions sur un phonographe qui, sauf erreur, n’avait pas encore été inventé au moment où l’action est sensée se dérouler. Et si ses équipements sont modernes voire d’avant-garde, ses méthodes demeurent à l’image de l’ennemi qu’il affronte : un modèle d’archaïsme. Prescrivant de l’ail à foison, il a recours à une croix et au traditionnel pieu dans le cœur pour exorciser la malédiction du démon, faisant jaillir lui aussi le sang pour la première fois en couleur. Comment ne pas voir là d’ailleurs un parallèle saisissant entre le Bien et le Mal ? Pour donner l’absolution à la victime et la délivrer de sa vie de non morte, il n’a d’autre choix que de la pénétrer, non pas à l’aide de canines acérées mais par l’intermédiaire d’un bout de bois, lors d’un rituel encore plus violent que le rituel initiatique de Dracula ! Brisant à son tour symboliquement l’hymen d’une vierge pour percer son âme à jour et la sauver, il prodigue à la pauvre Lucy une onction extrême, implicitement sexuelle…

Modèle du genre, la course poursuite finale du Cauchemar, pendant laquelle pendant cinq minutes au moins, aucun dialogue ne vient interrompre la musique trépidante de James Bernard demeure un modèle inégalé. Van Helsing manque par trois fois de succomber (assommé par un chandelier, étranglé par le comte et mordu par lui). Il réussit à se refuser à son suborneur et triomphe de lui au cœur de sa bibliothèque, en s’emparant de deux chandeliers pour le repousser dans un coin, avant de se jeter sur une tenture et laisser le soleil rôtir instantanément le prince des ténèbres. Voilà sans doute la meilleure séquence de fin jamais filmée de toute l’histoire de la geste Draculéenne au cinéma.

Soutenue par Universal, la Hammer va régner sans partage, si ce n’est sporadiquement avec la firme Amicus spécialisée dans les films à sketches, pendant près de 20 ans sur le genre.

Symboliquement, quand Boris Karloff disparaît en 1969. Le genre s’essouffle. Karloff qui s’éteint après avoir promené sa silhouette désormais voûtée dans quelques séries télé telles que Les Mystères de l’Ouest et Des Agents très spéciaux.

Et, après avoir interprété son propre personnage romancé, celui d’une vedette de l’horreur aux prises avec un tueur dans la foule de ses admirateurs dans le prometteur Target de Peter Bogdanovitch, fan affiché de Karloff. Dans une sorte de chant du cygne profondément marquant.

Corman enlumine Edgar Poe

Quand on parle de Bogdanovitch, on songe forcément à Roger Corman qui lui mit le pied à l’étrier et permit à Karloff, Peter Lorre et Vincent Price de briller à de multiples reprises, dans ses propres mises en scène à petit budget tirées des écrits d’Edgar Poe. En 1960, Corman a déjà derrière lui une jolie carrière de metteur en scène et de producteur. Il se lance dans la première des adaptations de Poe qui le rendront vénéré des cinéphiles du monde entier, par son sens du détail et de la composition, tournant la majeure partie du temps en studio pour souligner l’atmosphère oppressante de ces histoires macabres. La chute de la maison Usher initie le cycle. Elle met en vedette Vincent Price dans le rôle titre et demeure une version tout à fait appréciable. Avec The Pit and the Pendulum (la chambre des tortures), il associe la divine Barbara Steele à Price et bénéficie là encore de la plume de Richard Matheson, auteur de Je suis une légende, pour adapter l’œuvre. Dans Tales of terror (l’empire de la terreur), inégal film à sketches comprenant Morella, the Black Cat et le cas de Mr Valdemar, il réunit Price et Lorre et convie même Basil - Sherlock Holmes – Rathbone à la fête. Suit The Raven (le corbeau 1962) qui réunit Price, Karloff et Lorre dans un festival parodique où l’on sent que Lorre est de loin le plus à l’aise dans la fantaisie, suivi de près par Price, tandis que Karloff tente de conserver son calme au milieu du chaos, au milieu duquel apparaît Jack Nicholson. Le Masque de la Mort Rouge et la Tombe de Ligeia réalisés en 1964 permettent à Vincent Price de donner la pleine mesure de son ambigu personnalité et installent Corman comme un cinéaste capable de s’exonérer des contraintes budgétaires et des modes pour s’adonner à ses passions, en l’occurrence l’œuvre de son compatriote Edgar Poe, et les faire partager.

Histoires de fantômes anglais

Pas si éloigné de l’univers de Poe, celui de Henry James et de son Tour d’écrou mérite de revenir quelques instants en Angleterre. Loin de vouloir concurrencer la Hammer, Les Innocents de Jack Clayton s’inscrit comme une œuvre unique.

Une œuvre singulière, baignant dans un noir et blanc incroyable dû à un artisan de l’ombre de la Hammer justement, passé parfois par la réalisation, Freddie Francis auquel on doit Dracula has risen from the grave.

Les Innocents est un film parfaitement déroutant. Il raconte l’histoire d’une préceptrice engagée par l’oncle de deux orphelins pour mener à bien leur éducation dans une demeure étrange et isolée en pleine campagne. L’institutrice va découvrir bien vite que la petite fille et surtout le petit garçon qu’elle doit éduquer ont une personnalité hors du commun. Comme habité par l’âme du contremaître du domaine, mystérieusement décédé, l’enfant se comporte comme un adulte et tente ouvertement de séduire sa préceptrice. Sombrant dans une névrose paranoïaque, cette dernière s’imagine voir des choses et se sent de plus en plus oppressée. Mais au final c’est l’enfant qui meurt, dans ses bras, tableau d’une Pieta équivoque tenant son presque amant dans ses bras. A ce stade, on ne sait pas si elle a délivré l’enfant du Mal ou s’il a succombé à ses sortilèges hystériques. Qui est innocent ici ou qui ne l’est pas, le mystère reste entier.

Souvent adapté, le livre n’a jamais été aussi bien servi que par Clayton et l’interprétation de Deborah Kerr qui parvient à sombrer dans une folie contagieuse sans que l’on sache si le récit est raconté de son point de vue de pure frustrée ou si elle est la victime d’un enchaînement de circonstances. Si le film est forcément marquant, on recommandera dans la même veine Le Corrupteur, rare bon film de Michael Winner, avec Marlon Brando dans le rôle du contremaître, préquelle habilement ficelée présentant l’histoire sous un jour nouveau.

Une thématique qu’Alejandro Amenabar reprendra avec malice dans les Autres, cette histoire de fantômes qui ignorent leur état de trépassés surfant elle-même sur la vague engendrée par le succès de Sixième Sens avec Bruce Willis.

La Ligue se déchaîne…

Dracula n’en finit plus par la suite de revenir à la vie. En 1979, non seulement Nosferatu reprend du service pour Werner Herzog qui dirige Klaus Kinski dans l’un de ses meilleurs rôles, mais Dracula rajeunit sous les traits de Frank Langella dans la version de John Badham.

Comme Hollywood s’y entend pour recycler les bonnes vieilles recettes, l’un des films récents les plus sympathiques rassemblant quelques uns des personnages les plus emblématiques du fantastique victorien est tout simplement une adaptation de bande dessinée d’Alan Moore. Sa Ligue des Gentlemen Extraordinaires regroupe ni plus ni moins que Mina Harker définitivement devenue une goule, l’Homme Invisible, l’inaltérable Dorian Gray, le Dr Jekyll et son double dévastateur, mais aussi le capitaine Némo, un intrépide américain baptisé Tom Sawyer, avec pour leader le charismatique Allan Quatermain, campé par Sean Connery, flamboyant vieux lion s’il en est. Avec pour adversaire un génie du crime dissimulé derrière une initiale, le « M » de l’ennemi juré de Holmes, Moriarty en personne !

Comme au temps de la concurrence effrénée entre les majors, après le lancement de la Ligue par la Fox, Universal s’est empressée de ressusciter ses monstres, de Dracula à celui de Frankenstein, du Loup Garou au Dr Jekyll (qui ne lui appartenait pas en propre), pour bâtir autour du personnage de Van Helsing singulièrement rajeuni et transformé en tueur de vampires façon Buffy, un blockbuster fantastique presque too much à force de surenchères visuelles. Avec dans le rôle principal Hugh Jackman, plus connu sous la griffe du Wolfverine des X Men.

Génération Stephen King

Mais le cinéma a su depuis une trentaine d’années faire appel à de nouvelles plumes dont on peut au moins citer trois d’entre elles, parmi les plus marquantes.

Comme son nom signifie tout de même roi en français, il faut citer Stephen King, l’homme à la centaine d’adaptations, ciné et télé, le roi de l’horreur US, le maître incontesté du best-seller dans le domaine du fantastique, à l’imagination foisonnante et au talent de conteur consommé. King sait depuis ses débuts saisir ces instants où le quotidien bascule dans la tragédie la plus effrayante, qu’elle débouche sur du fantastique pur comme dans Ça, sur une chronique nostalgique comme dans Stand by me ou Cœurs Perdus en Atlantide, qu’elle s’interroge sur la peine de mort comme dans La Ligne Verte ou sur des tueurs d’exception : St-Bernard homicide comme Cujo ou voiture psychopathe comme dans Christine.

Stephen King est d’ailleurs passé une fois derrière la caméra pour adapter Maximum Overdrive, série B sympathique sur une cohorte de véhicules devenus fous, quand il n’effectue pas des apparitions ici ou là à la Hitchcock. Son œuvre ne cesse d’inspirer le cinéma puisque trois adaptations sont encore annoncées pour cette année et trois autres déjà pour 2008.

Plus ésotérique sont par contre les œuvres de son homologue britannique Clive Barker qui compte une vingtaine d’adaptations pour l’écran à ce jour et six films à son actif, sachant que le prochain est annoncé pour cette année. Les monstres de Barker qu’a immortalisé le film Hellraiser sont des créatures de l’enfer absolument hideuses. Son œuvre se résume à une espèce de cauchemar permanent, suffocant et dérangeant sur le plan visuel, quand il donne vie à ses monstres de papier en les projetant sur la toile.

Quant au troisième auteur qu’on ne peut manquer de citer, c’est évidemment Anne Rice. Son Lestat immortalisé à l’écran par Tom Cruise dans Entretien avec un vampire de Neil Jordan, grand réalisateur pas seulement du fantastique auquel on doit Une compagnie des Loups mémorable, a insufflé un coup de jeune au mythe de Dracula. Autant ce dernier ne se posait guère de questions quand Christopher Lee l’incarnait, monstre tout entier tourné vers la satisfaction de ses désirs primitifs, autant Lestat s’inscrit dans un courant de vampirisme existentiel et métaphysique qui s’interroge ironiquement, non pas sur le sens de la vie, mais sur celui de la mort. Lestat et son comparse Louis le Pointe du Lac s’interrogent sur leur mal de vie éternelle, un mal de vivre qui s’apparente fort à un mal de mort…

Reste qu’avec Lestat et ses succédanés, on pense notamment au Dracula 2001 qui révélait que Van Helsing était lui aussi devenu vampire après avoir été mordu par son ennemi, dont les origines surprenantes remontaient en fait à Judas, on peut se demander si la littérature fantastique n’a pas fini par vampiriser à son tour le cinéma fantastique, les deux facettes d’un même genre finissant par se piller mutuellement mythes et légendes, le risque bien sûr étant grand qu’à la longue, le genre en ressorte exsangue et vidé de sa substance, à force de séquelles, préquelle et remakes multiples.

Mais quand on voit ce que John Carpenter a réussi à faire avec son Vampires en 1998, on se dit tout simplement que tant qu’il y aura de grands écrivains et de grands metteurs en scène, le fantastique n’est pas prêt de mourir. Du reste, n’a-t-il pas découvert le secret de l’immortalité à force de fréquenter Dracula et ses semblables ?

Dans un monde en perpétuel évolution, où le progrès menace le climat et où le sort de la planète semble climatiquement et dramatiquement scellé, l’archaïsme d’un Dracula parait presque rassurant !

Sébastien Socias
Journaliste à l’Ecran Fantastique

Conférence donnée à Paris à l’Atelier Z, le samedi 3 février 2007, dans le cadre de la Semaine Fantastique organisée par Manou Chintesco.

© Composition photographique : O.V.

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