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Des fantômes là où il n'y en a pas !
 

Quelle étrange idée d’avoir donné au film "Gaslight" de George Cukor le titre français "Hantise" ? Sortie en 1944, cette production américaine, adaptée d’une pièce de théâtre et mettant en scène de prestigieux acteurs comme Charles Boyer, Ingrid Bergman ou Joseph Cotten, est un thriller hitchcockien qui explore les méandres de la psychologie amoureuse et de la manipulation mentale. Le résumé est pourtant explicite : "Les lumières vacillent et faiblissent. Des bruits de pas résonnent dans un grenier condamné. La jeune et vulnérable Paula assiste à de mystérieux événements que seule elle peut voir et qui lui font craindre d’avoir perdu la tête…" Cependant, si vous vous attendez à voir un film de fantôme dans une maison hantée, passez votre chemin et préférez-lui plutôt "La maison du diable" de Robert Wise, tourné 20 ans plus tard. Sinon...

...si vous aimez les intrigues passionnantes qui bénéficient d’une mise en scène astucieuse, de décors victoriens magnifiques (récompensés par un Oscar) et surtout d’une interprétation magistrale par des valeurs sûres du cinéma, laissez-vous séduire par "Hantise" qui, d’une certaine manière, puise dans les codes du fantastique pour mêler subtilement drame psychologique, phénomènes inexplicables et énigme policière.

La traduction française du titre "Gaslight" (littéralement "éclairage au gaz") n’est pourtant pas innocente ni inefficace.

En effet, tout commence par le départ précipité d’une jeune femme, Paula Alquist (Ingrid Bergman), fuyant la maison londonienne de sa tante, célèbre cantatrice assassinée dans des conditions mystérieuses. Lors de vacances en Italie, elle rencontre Gregory Anton (Charles Boyer), un pianiste qui la séduit, l’épouse et l’incite à habiter la maison que sa tante lui a léguée. Croyant pouvoir surmonter le souvenir du meurtre, Paula accepte de vivre dans la maison inhabitée depuis le drame, par amour pour son mari. Pourtant, des événements étranges vont se multiplier : elle égare, cache ou vole des bibelots, perd la mémoire, entend des pas dans un grenier condamné et constate des variations inexpliquées d’intensité de l’éclairage au gaz. Doutant de sa santé mentale, elle vit recluse chez elle et entretient alors une relation tendue avec son époux, de plus en plus énigmatique, et avec Nancy (Angela Lansbury, alors âgée de 18 ans !), la jeune domestique effarouchée fraîchement recrutée par Grégory.
C’est lorsque le détective de Scotland Yard, Brian Cameron (Joseph Cotten), croit reconnaître la cantatrice assassinée sous les traits de Paula que le couple en crise va faire l’objet d’une nouvelle enquête.

Dans le documentaire (bonus) présenté par la fille d’Ingrid Bergman, Pia Lindström, on apprend que le titre a donné naissance à une expression anglaise, "to gaslight" signifiant "manipuler mentalement". Car il s’agit bien d’une manipulation s’appuyant sur le souvenir d’un drame jamais résolu. Pourquoi le mari s’évertue-t-il à conforter sa femme dans l’idée qu’elle devient folle au lieu de l’aider ? C’est une des clefs de l’énigme qui ne devient que trop évidente, tout comme cette lumière qui vacille à chacune des absences de Grégory…

Le spectateur comprend assez rapidement qu’aucun fantôme n’est en cause dans cette histoire mais, à la manière du "Rebecca" de Daphné du Maurier (adapté au cinéma par Alfred Hitchcock en 1940), le souvenir d’un événement tragique hante l’héroïne qui finit par ne plus distinguer le fantasme de la réalité.

En outre, la décoration victorienne de la maison, poussiéreuse à l’arrivée du couple qui fait une brève intrusion dans le passé de la demeure puis suffisamment chargée de la cave au grenier pour créer un sentiment de claustrophobie, n’est pas sans évoquer aujourd’hui les intérieurs oppressants dans "Psychose", autre film d’Alfred Hitchcock tourné en 1960.

La hantise est donc bien réelle mais elle est surtout psychologique. C’est pourquoi avec un tel titre, le spectateur est déjà en condition pour laisser libre cours à son imagination et voir du surnaturel là où il n’y en a pas. Comme dans de nombreux cas de maisons hantées où notre envie de voir l’inexplicable est la cause de visions souvent trompeuses.

"Gaslight" est donc un tour de force ! Il joue avec les apparences et nous livre un remarquable exercice de style pour lequel Ingrid Bergman remporta l’Oscar de la meilleure actrice. Tout comme Paula, laissez-vous donc manipuler et n’oubliez pas que, selon Alexandre Dumas, "les fantômes ne se montrent qu’à ceux qui doivent les voir"…

Olivier Valentin

Hantise (Gaslight), de George Cukor, édité en DVD chez Warner Home Video dans la collection "Légendes de cinéma"

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