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Encyclopédie des Fantômes et des Fantasmes
 

Le livre de Jérôme Noirez, paru aux éditions de l'Oxymore, est un ouvrage ambitieux qui explore, de A à Z, la mythologie des fantômes. Flirtant fréquemment avec l'approche zététique, un courant de pensée sceptique qui encourage "l'art du doute" systématique face aux phénomènes inexpliqués, il franchit régulièrement la frontière qui distingue le fantôme, entité psychique indépendante dont l'existence ou l'inexistence restent à prouver, et le fantasme, produit de notre imagination et de notre patrimoine culturel. Abordant, dans un style clair et ludique, toutes les déclinaisons du monde des spectres, l'auteur nous renvoie à la nostalgie du passé : "Chercher le fantôme revient à chercher des traces, des signes du passé, à se convaincre que cet univers contient un peu de permanence."

A l'instar de Gérard Dôle, autre romancier du surnaturel, Jérôme Noirez est à la fois écrivain et musicien. C'est pourquoi, au pays des ombres, il joue avec notre corde sensible, manipulant les mots, les rêves et les métaphores. Malgré quelques fausses notes dans ce concerto d'outre-tombe, il signe un ouvrage d'initiation captivant, ouvrant avec magie les portes de l'invisible. A l'école des revenants, il aurait fait le bonheur des bizuths, sans toutefois contenter les redoublants.

Par Olivier Valentin

Encyclopédie des Fantômes et des Fantasmes ! Le titre du livre de Jérôme Noirez a de quoi nous laisser songeur. Encyclopédie d’abord ? Avec les fantômes, peut-on faire le tour de la question ? Dans un entretien accordé à Maison-Hantee.com, l’auteur s’en défend, nous confiant qu’il ne se passe pas un jour, depuis la parution, sans qu’il constate un oubli. Pour lui, l’encyclopédie est un outil pour organiser sa réflexion et rendre compte de la richesse du sujet, sans prétendre à l’exhaustivité.

Puis, il fait cohabiter dans le même intitulé Fantômes et Fantasmes. Certes, les deux notions partagent la même racine étymologique, le grec phantasma ou "apparition". Mais c’est prendre un grand risque de les associer. Car, dans ce cas, quel public veut-il contenter ? Ceux qui croient, dur comme fer, à l’immortalité de l’âme et à ses manifestations possibles aux vivants ? Ou les doux rêveurs qui ne croient pas aux fantômes mais qui en ont peur, soupçonnant les facéties de l’esprit derrière les phénomènes surnaturels ? Sans mauvais jeu de mot, le spectre est large ! C’est pourquoi nous nous sommes plongés, avec prudence, dans cet ouvrage d’initiation à l’imaginaire des fantômes qui s’adresse, selon nous, au grand public du fantastique. A ceux qui, par passion quasi-freudienne, s’y intéressent depuis leur plus tendre enfance, quelles que soient leurs croyances. A ceux qui ont un avis sur tout et qui ne veulent pas être exclus des conversations mondaines. Enfin, à ceux qui cherchent à ouvrir des portes, sans forcément savoir comment les refermer. Cette encyclopédie, au look attractif, donne des clefs. Encore faut-il savoir à quelle porte correspond quelle clef !

En tournant les premières pages, dans ma librairie, mon regard croise les remerciements. Un nom attire mon attention, Paul-Eric Blanrue. Pour les profanes, il s’agit du fondateur du Cercle Zététique, une association loi de 1901 qui regroupe des chercheurs dans le but de « confronter leur esprit critique à l’inexplicable qui n’est en vérité que de l’inexpliqué. » Les zététiciens se sont surtout distingués, il y a quelques années, dans des joutes médiatiques les opposant, en autres, au Laboratoire de Parapsychologie de Toulouse, dans des affaires retentissantes de maisons hantées et autres phénomènes paranormaux. Henri Broch, professeur de physique et fer de lance de la zététique, définit leur approche comme « l’art du doute », ajoutant que « le droit au rêve a pour pendant le devoir de vigilance ». L’intention est louable mais la méthode, qui se nourrit d’un scepticisme souvent agressif, n’est pas modeste. On se souvient de la polémique suscitée par le livre Devenez sorciers, devenez savants qu’il avait écrit en collaboration avec George Charpak en 2002. « Nous ne voulons en aucun cas imposer une pensée unique, nous militons au contraire pour le doute, le scepticisme, la curiosité et la science » avançaient-ils à l’époque. Curieux amalgame ! Mais, à force de vouloir démasquer les escrocs du paranormal, ils n’ont pas hésité à égratigner les mythes et les croyances, se faisant les auteurs d’un « réquisitoire intolérant contre toute idée de paranormal ». Ce qui leur a valu la réponse cinglante, par livre interposé, de Jean-Charles et Jean-Yves Normant, avec Devenez pédants, c’est pas sorcier. D'après ces contradicteurs, la science n’a pas réponse à tout et les mystères du monde ne peuvent se résumer à quelques équations.

Loin de moi la volonté de rallumer ici une vieille querelle qui n’aura, pour conséquence, que de désenchanter un peu plus le monde, mais plutôt de témoigner de ma première crainte à voir, dans cette encyclopédie, un masque de scepticisme, emprisonnant les fantômes dans nos rêves, leur « domaine de prédilection » d’après l’auteur. Or, même s’il flirte souvent avec la zététique, Jérôme Noirez prend ses distances quand il écrit « nous pensons de surcroît que le devoir de vigilance ne menace en rien le droit au rêve, le seul droit fondamental auquel finalement notre encyclopédie aspire ». Il est dommage que ce témoignage réconfortant n’intervienne qu’en fin d’ouvrage…

C’est donc l’esprit soucieux mais, malgré tout, en pleine effervescence, que je me plonge dans la lecture attentive de ces 130 définitions nous entraînant, à travers le monde, à la rencontre des fantômes. Qu’il soit l’apparition d’un défunt sous l’aspect d’une entité organique ou une représentation imaginaire de nos désirs plus ou moins conscients, le fantôme fait peur !

Dans son introduction, Noirez nous rapporte sa première rencontre avec le surnaturel, à l’Ile de Ré, lorsque, enfant, il tremblait, dans l’obscurité, devant le ballet féérique des ombres de sa chambre à coucher. Il se passionne alors pour cette peur ludique jusqu’à faire des romans de Lovecraft et de Jean Ray ses livres de chevet. La tentation d’en faire une psychanalyse n’échappe pas à l’auteur qui voit, en toute hantise, « une affaire de nostalgie ».

Tôt ou tard, le fantôme fait partie de notre patrimoine émotionnel. Par ses « bienfaits anxiolytiques », la peur qui nait de la confrontation avec un fantôme est pédagogique et « dépendante des référents culturels ». D’après Jérôme Noirez, c’est une « émotion qui fantasme l’avenir » : « La peur ne se porte pas tant sur ce qu’il est en train d’advenir que ce qui pourrait advenir. » La frontière entre le fantôme objectif, entité psychique indépendante, et le fantôme subjectif, produit de l’imagination, est vite franchie !

Après s’être débarrassé habilement des questions préliminaires sur les fantômes (croire ou ne pas croire ?, Qu’est-ce qu’un fantôme ?, Faut-il en avoir peur ? Le fantôme est-il une hallucination ?), l’auteur dresse un portrait des différents types de fantômes, de hantises, de croyances populaires, de légendes et traditions, de récits et anecdotes, d’œuvres artistiques inspirées par eux et de déclinaisons qui prouvent qu’ils sont partout ! L’encyclopédiste les voit aussi bien dans les maisons et les châteaux, les cimetières ou tout autre lieu où « l’abandon leur sert d’engrais », que dans les avatars de la technologie, du métro aux OVNI, sans oublier les ordinateurs ou le génome humain !

Certains apports, contestables en dehors de leur approche métaphorique, sont en effet stupéfiants dans un livre sur les fantômes. Les fantômes sont coupables de tous les maux du monde moderne - « bogues, plantages du système, virus, hackers, canulars,… » - ou complices de toutes les genèses : « L’ADN est le fantôme ultime : le fantôme qui se fait vie et qui se nomme hérédité » ou bien « Le placenta, ombre de chair sans conscience, est sans doute le premier fantôme qui s’attache au vivant, et qui fait de chacun de nous d’éternels siamois accouplés à une réalité invisible » ! Etonnant !

Dans le même esprit, l’auteur nous invite à réfléchir sur la sexualité des fantômes, ce qui sous-entend un regain de corporalité et donne au terme « fantasme » ses lettres de noblesse…

Enfin, s’il se risque à voir le fantôme comme une manifestation extra-terrestre, il n’omet pas de signaler qu’aucune histoire de revenants dans l’espace n’a été rapportée par les astronautes.

Dès qu’il abandonne ses méditations métaphysiques, Jérôme Noirez se fait l’apôtre du fantôme littéraire, celui qui peuple notre patrimoine de l’imaginaire depuis l’antiquité et donne un sens à nos traditions. Ce sont d’ailleurs les articles qu’il consacre aux rites et aux légendes qui, selon moi, sont ses meilleurs. Avec l’« arbre », véritable totem des morts, il réconcilie la nature, l’homme et le surnaturel jusque dans sa mythologie divine. S’il a toujours fait l’objet d’un véritable culte d’adoration (la « dendrolâtrie »), l’arbre symbolise le lien entre le monde des morts, celui des vivants et celui des dieux. Dans les cimetières ou les forêts, où les morts sont enterrés à ses pieds, Noirez lui attribue une « fonction psychopompe » : se nourrissant du cadavre par les racines, il accomplit sa mission d’élévation, par la sève, pour renvoyer l’âme au ciel, par ses branches. D’ailleurs, les arbres sont souvent des personnages forts dans le cinéma fantastique : Poltergeist, Sleepy Hollow, Harry Potter, Les Noces funèbres,…

L’article consacré au « cimetière », lieu de hantise par excellence qui ne laisse personne indifférent, est tout aussi riche en anecdotes car il s’appuie sur un registre culturel d’une profonde gravité. Saviez-vous qu’il est déconseillé d’arpenter les allées d’un cimetière, la nuit, « surtout pendant les heures impaires » ? Ou qu’en Bretagne, le cimetière noir était autrefois la « partie nord réservée aux suicidés, aux protestants, aux enfants morts sans baptême, aux étrangers » ? Ou encore qu’un « gardien spectral », le fantôme du premier enterré ou du dernier selon les traditions, est « préposé à la surveillance des cimetières » ? Cela fait froid dans le dos… Que ce soit le Père Lachaise, à Paris, ou le cimetière de Highgate, à Londres, pour ne citer que les plus « touristiques », le cimetière est un terreau idéal pour enflammer les passions. Sans doute parce que les tombes et les dépouilles qu’elles contiennent sont plus impressionnantes que les fantômes eux-mêmes !

Avec « Littérature », Jérôme Noirez propose une rétrospective des histoires de fantômes. Il nous fait remonter à l’antiquité, avec Plaute (254 – 184 avant J.C.), pour trouver la première histoire de maison hantée, dans Mostellaria, même s’il s’agit d’une imposture. Et c’est dans les pays asiatiques que la prédominance des récits surnaturels fut la plus forte. Le fantôme littéraire a connu un véritable essor au 18ème siècle avec le roman gothique et son archétype, le Château d’Otrante d’Horace Walpole, qui pose les bases de l’esthétisme médiéval comme théâtre des créatures de l’au-delà. D’après l’auteur, la littérature est l’article qui lui a donné le plus de fil à retordre car il s’agissait d’un défi « dédaléen » : cerner la littérature du fantôme sans tomber dans le piège du catalogue et au risque de décevoir le lecteur qui ne trouverait pas son « livre emblématique ». A ce petit jeu, il s’en sort plutôt bien…

Force est de constater que le livre est bien documenté, même si les puristes pourront toujours reprocher à l’auteur de manquer d’innovation, la plupart des récits cités dans son œuvre étant de notoriété publique. Néanmoins, l’auteur les revisite avec inspiration. Sans doute l’histoire de la maison Winchester en étonnera plus d’un. Mais je n’en dévoilerai, ici, aucun des secrets.

Pour moi, cette encyclopédie a surtout le mérite d’enrichir mon vocabulaire, notamment en langues orientales. Au Japon, je n'ai désormais plus aucun problème pour trouver mon chemin au pays des chôchin-obake, des zashiki-warashi ou des konaki-jiji… Mais un certain nombre de réflexions m’ont tout de même fait bondir.

« Tout bon chasseur de fantôme sait asseoir sa crédibilité scientifique sur un scepticisme affiché ». Doit-on enterrer les Fox Mulder et autres détectives de l’étrange qui, s’ils se gardent d’être incrédules, n’en demeurent pas moins intuitifs, ouverts et tolérants ? Certes un bon chasseur de fantômes se doit de garder la tête froide mais il est nécessaire qu’il reste sensible aux mystères de la nature. Trop de scepticisme pourrait nuire à son flair d’enquêteur. Pour Jérôme Noirez, ce même chasseur de fantômes est trop facilement victime d’hallucinations : « Les chasseurs de fantômes qui veillent toute la nuit dans une maison aux allures inquiétantes, guettant dans le silence et l’obscurité la plus infime manifestation du fantôme tant désiré, se réchauffant parfois les entrailles avec une gorgée d’alcool – certes les plus sérieux s’en abstiennent -, réunissent toutes les conditions pour être les victimes de telles hallucinations ». La thèse est osée, même si je soupçonne qu’elle lui a été soufflée... Les chasseurs de fantômes sont-ils devenus des chamans illuminés, victimes des stupéfiants ? Depuis Harry Price, la chasse aux fantômes a perdu toute crédibilité, au grand dam des parapsychologues de renom comme Andrew Green ou Peter Underwood. La profession a-t-elle encore de beaux jours devant elle ? Laissons-lui sa chance, et pas seulement dans les pays anglo-saxons...

« C’est pourquoi, nous nous devons d’exercer une vigilance de tous les instants et de mettre en doute aussi bien ce qui constitue nos croyances, nos certitudes, nos superstitions, que ce que nous nommons "réalité", indéniablement la plus dangereuse de toutes les illusions. » Noirez aurait-il succombé aux thèses de Descartes qui, dans ses Méditations Métaphysiques, nous invite à douter de nos propres sens, au risque de surchauffer notre esprit critique ? Le fantôme serait alors une « hallucination domestiquée, un fusible psychique ». Brrr...

Pour conclure, l’avertissement en fin d’ouvrage, signé Léa Silhol, l'éditrice, ne manque pas de piquant ! La relecture du manuscrit lui a valu d’étonnantes mésaventures, un « faisceau convergent » d’incidents, à priori sans rapport avec le thème du livre, mais qu’elle attribue au « mauvais œil » avec lequel les fantômes ont vu l’entreprise de son auteur. Elle écrit : « Il semble clair que ceux qui lisent le livre subissent plus de désagréments que les autres… »

A vouloir apprivoiser les fantômes, aurait-il fini par les effaroucher ? Vous voilà avertis...

O.V.

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