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Du 22 au 27 mars 2007, la 27ème édition du Salon du Livre de Paris a pris ses quartiers de printemps au Parc des Expositions de la Porte de Versailles pour célébrer le livre et, cette année, la littérature indienne. Maison-Hantee.com n’a pas manqué cet événement. Quelle place a été accordée aux littératures de l’imaginaire et ses éditeurs ? Le fantastique souffre-t-il toujours d’un délit de "sale genre" ? Les fantômes ont-ils été conviés à la fête ? Au milieu des têtes d’affiche qui mobilisent toujours autant les foules, nous avons déniché quelques perles et pris le temps de rencontrer les professionnels de l’édition fantastique. Au programme de notre journal de salon : île maudite, vie éternelle, nuits blanches, poltergeists, histoires de fantômes, contes fantastiques, détective du mystère, psychoses et maisons lugubres. Avertissement : certains livres révélés par notre enquête feront l’objet de poursuites...

Par Olivier Valentin

Jeudi 22 mars
20h30

L’édition 2007 du Salon du Livre de Paris est inaugurée par une soirée privée, accessible sur invitation. Mais la privatisation n’a aucun effet restrictif sur la fréquentation. Il y a beaucoup d’invités ! Trop peut-être ? Combien de lecteurs parmi cette foule des cocktails ? Champagne et poignées de main à tous les stands. Les livres, quoique discrets car protégés sous des filets pour cause de forte affluence, sont en fête. Qu’en est-il de la profession ? En outre, les littératures de l’imaginaire ont-elles leur place à ce rendez-vous des lecteurs et des professionnels de l’édition ?

Je tente un tour d’horizon mais déclare très vite forfait. Les allées sont impraticables. Quelques célébrités se croisent. Cet événement mondain cache bien son intérêt…

Au stand Omnibus, je salue les attachées de presse. On reparle du Grand Légendaire de France de Marie-Charlotte Delmas en se réjouissant de sa séance de dédicace, prévue le dimanche.

Le monstre du Loch Ness s’est trouvé un concurrent !

Aux Presses de la Cité, mon attention est portée sur la parution du dernier thriller de Mo Hayder dont l’étonnant parcours a fortement influencé ses choix littéraires. Après une adolescence londonienne agitée, des petits boulots au Japon et des études de cinéma aux Etats-Unis, elle est revenue en Angleterre pour devenir garde du corps avant de se consacrer entièrement à l’écriture. Affectée par des événements traumatisants survenus à plusieurs de ses proches, elle a décidé de faire peur et d’inscrire ses récits dans le registre du mystère et du morbide. Après le succès de Tokyo, un best-seller dérangeant sur fond de conflit sino-japonais, Mo Hayder est au salon pour présenter Pig Island. « La thématique et le scénario peuvent vous intéresser » me dit l’attachée de presse.
C’est l’histoire d’un journaliste, spécialisé dans la démystification des phénomènes paranormaux, qui débarque sur un îlot perdu au large de l’Ecosse pour enquêter sur une mystérieuse secte, accusée d’adorer le diable.

Il veut surtout percer le secret d’une créature légendaire qu’un touriste à moitié ivre aurait réussi à filmer. Mais rien ne se passe comme prévu… Comme toujours ! Car dans la littérature à suspense, tout le sable des plages passe dans les rouages des intrigues. Je me fais donc une joie à l’idée d’embarquer pour Pig Island. Je reviendrai prochainement sur ce livre dans les colonnes de Maison-Hantee.com [voir article].

En attendant, il est temps pour moi d’abandonner cette effervescence aux ivresses de la nuit !

Vendredi 23 mars
14h45

En chemin vers le stand de Nestiveqnen Editions, je découvre Nuit d’Avril, un éditeur de livres fantastiques et de science-fiction, thrillers et romans noirs, aux couvertures atmosphériques, qui contribue depuis 4 ans au lancement de jeunes auteurs en leur faisant profiter d’une couverture francophone. Comme le dit si bien Claude Seignolle, sur le site web de l’éditeur, « il n’y a pas de "petits" éditeurs mais de courageux aventuriers du papier-livre qui veulent faire partager leur passion et coups de cœur à leurs risques financiers. » Conséquence : avec du mystère sous toutes ses formes (mythologique, vampirique, romantique, gothique, humoristique et même lycanthropique !), il y en a pour tous les goûts. A découvrir pour passer des nuits blanches… toute l’année !

Quelques mètres plus loin, Manou Chintesco, écrivain et instigatrice des Rencontres du Fantastique qui se sont déroulées en février dernier à Paris pour défendre les couleurs des littératures de l’imaginaire, s’installe au stand Nestiveqnen, une maison qu’on ne présente plus. Tout le monde se connaît et échange quelques mots. C’est dire si le monde de l’étrange est petit ! C’est l’occasion de sensibiliser les amateurs d’ésotérisme avec Les Compagnons d’Hela, un hommage au mythe de Dracula et à l’alchimie, récompensé aux Utopiales de Nantes 2005 par le Prix du Public et le Prix du Jury. Même les âmes sensibles n’auront pas peur de tourner la première page de ce roman car s’y trouvent les clefs de l’immortalité, chères au célèbre Cagliostro et à l’énigmatique Comte de Saint-Germain…

Chez Imago, on joue sur les mots

A quelques allées de là, je m’arrête au stand des éditions Imago chez qui Claude Lecouteux que nos lecteurs connaissent déjà (voir notre entretien) s’apprête à publier son dernier ouvrage sur les histoires de poltergeists. En dépit du titre choisi par l’éditeur (La maison hantée), l’auteur s’est attaché à étudier exclusivement les différentes interprétations des esprits frappeurs, à l’origine de bruits, déplacements d’objets et ignitions inexpliquées, à travers les époques, selon les cultures et les croyances. Or, les mentalités n’auraient jamais évolué malgré les progrès de la science. L’éditeur m’a demandé si Maison-Hantee.com pouvait collaborer à l’illustration de couverture. Très honoré ! Affaire à suivre…

Seul regret, partagé par Imago : Jean Markale, annoncé en dédicace sur le stand, ne sera finalement pas au salon pour raison de santé. Nous aurons l’occasion de revenir vers lui en octobre prochain pour parler de son livre sur Halloween.

Un manuel d’initiation aux histoires de fantômes ?

Chez Gründ, signalons l’existence d’un recueil de contes et extraits de romans fantastiques pour la jeunesse mais dont les néophytes pourraient bien s’accommoder : Histoires de fantômes : mystère, suspense et surnaturel dirigé par Vic Parker et traduit en français en août 2006. Dans cette bible du fantastique anglo-saxon, à la couverture stylisée noir et rouge, le débutant s’initie aux grands classiques de la littérature de l’imaginaire sur fond d’ambiance victorienne. Ce livre rend hommage à la tradition dicksonienne des contes macabres lus pendant les veillées d’hiver pour effrayer un auditoire avide de sensations fortes. A une époque où le spiritisme devient à la mode, les châteaux, cryptes et autres abbayes en ruines, héritage du roman noir initié par Horace Walpole et son Château d’Otrante, cèdent leur place aux maisons bourgeoises hantées par d’étranges créatures et d’angoissantes psychoses humaines.

Le fantastique gagne en réalisme et l’intrusion du mystère dans la banalité du quotidien mortifie de plus en plus de lecteurs.

L’anthologiste classe ses histoires en quatre thématiques.

Dans les histoires d’outre-tombe, on trouve les meilleurs textes d’Edgar Allan Poe où les morts refusent de rester dans leurs cercueils : La chute de la maison Usher, Le Cœur révélateur et Silence. Deux autres auteurs de ghost stories trouvent une place de choix dans ce chapitre : l’incontournable Montague Rhodes James avec L’homme qui habitait près du cimetière de l’église et Edward Frederic Benson avec La Chambre de la Tour. Disciple de Sheridan Le Fanu, M.R. James fut non seulement un excellent écrivain fantastique, le grand spécialiste du fantôme anglais (appellation d’origine contrôlée !), mais aussi un parfait conteur. Ancien archéologue britannique, il savait terrifier les élèves de la manécanterie de King’s College, à l’université de Cambridge où il enseignait, avec ses histoires de revenants. On lui doit notamment La chambre n°13, référence absolue en matière d’histoire de fantôme. Quant à E.F. Benson, autre grand amateur d’archéologie, il conjugue deux grands thèmes du fantastique dans sa nouvelle, le fantôme et le rêve obsessionnel, laissant ainsi le lecteur sans réponse…

Dans le second chapitre consacré aux esprits, cinq romans fantastiques sont représentés par des morceaux choisis : La légende du cavalier sans tête de Washington Irving (adapté au cinéma par Tim Burton), Le fantôme des Canterville et Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, Les hauts de Hurle-Vent d’Emily Brontë et Un chant de Noël de Charles Dickens. Même si le texte n’est pas dans sa version intégrale (ce qui serait impossible pour tenir en un seul volume !), il offre un aperçu de l’intrigue et du style littéraire de l’auteur, invitant les jeunes lecteurs consciencieux à approfondir leur lecture par la version complète. Je dis bien "consciencieux" car le procédé ne doit pas inciter les paresseux à ne connaître ses classiques qu’en abrégé ! Pour les abonnés au zapping, qui consomment toujours dans la précipitation, mieux vaut porter son intérêt sur des nouvelles, un format court hérité du XIXe siècle pour préserver la tension et la peur. Pourquoi ne pas trembler ainsi avec l’Histoire d’une main fantôme de Joseph Sheridan Le Fanu ? Ou La Maison de poupée de M.R. James ?

Avec les créatures maudites, Vic Parker nous fait quitter le monde des spectres pour rejoindre celui des monstres de la littérature d’épouvante, flirtant souvent avec les aberrations de la science : vampires (avec Dracula de Bram Stoker et Carmilla de Sheridan Le Fanu), momies (avec Edgar Allan Poe), mort-vivants (Frankenstein de Mary Shelley), dégénérescences humaines (L’étrange cas du Dr Jeckyll et de Mr Hyde de Stevenson) et chien méchant (Le chien des Baskerville de Conan Doyle) ! On peut d’ailleurs s’étonner de la présence dans ce recueil d’une aventure de Sherlock Holmes, fidèle de la déduction policière qui échappe à toute cause surnaturelle. Il n’y a en effet aucun élément fantastique dans toute la bibliographie du célèbre détective de Baker Street. Mais Le chien des Baskerville, chef d’œuvre du mystère aux décors gothiques (manoir des Baskerville, lande clairsemée de mégalithes, grotte,…), échappe d’une certaine manière à la règle, selon les mots du Dr Watson : « Jamais aucun rêve délirant d’un cerveau dérangé ne créa vision plus sauvage, plus fantastique, plus infernale que cette bête qui dévalait du brouillard »…

Enfin, le dernier chapitre sur les morts et les damnés compile quelques textes rares qui posent la question : pourquoi les morts reviennent-ils hanter les vivants ? Pour Henry James, auteur du Tour d’écrou, les fantômes sont-ils réels ou les fruits de l’imagination d’une gouvernante ? La célèbre nouvelle de 1895, adapté au cinéma en 1961 sous le titre Les innocents, est un chef d’œuvre du fantastique. Des phénomènes étranges semblent tourmenter deux jeunes enfants sous la garde d’une gouvernante, dans un manoir anglais du XIXe. Mais leur réalité est mise en cause. Stratégie récurrente du fantastique : on perd ses repères. Aucune conclusion n’est possible ! C’est aussi une gouvernante qui a joué un rôle décisif dans l’engouement de Charles Dickens pour les histoires de fantômes : elle les lui lisait quand il était petit. Cette passion quasi-freudienne pour le macabre et l’épouvante en a fait un conteur d’exception, à la source de nombreux récits fantastiques, comme Le procès pour meurtre ou Le Signaleur, présents dans ce recueil, souvent publiés dans des revues à la période de Noël. C’est d’ailleurs pour l’une de ces revues qu’Amelia B. Edwards, autre férue d’archéologie !, compose son Coche fantôme. Le lecteur retrouvera dans cette histoire de diligence hantée des ressemblances troublantes avec une vieille légende du Yorkshire. Comme de nombreux auteurs de ghost stories de l’époque victorienne, elle s’est inspirée du folklore local.

Histoires de fantômes de Vic Parker est à prendre comme un manuel scolaire. Une initiation pour jeunes lecteurs au fantastique anglo-saxon ! Pourquoi pas, à condition de ne pas s’en contenter…

Je quitte le salon en déplorant le manque d’événements littéraires (conférence, débat, parcours thématique) consacrés au genre fantastique. Seule une rencontre sur l’ésotérisme avec Didier Convard (Le triangle secret), Laurent Bidot (Le linceul), Dufaux et Grenson (Niklos Koda) est programmée à l’espace BD. « Le fantastique ne fait pas vendre ! » me confiera trois jours plus tard l’éditeur breton Dominique Poisson, directeur de Terre de Brume. Une idée à creuser pour le prochain salon ?

Samedi 24 mars
16h30

Mais où sont donc passées les éditions Ouest-France ? Chaque maison retrouve généralement ses emplacements d’une année sur l’autre. Or, habituellement derrière le stand Bretagne, près de la cafétéria, l’éditeur rennais rompt les amarres, bouleverse ses habitudes et change de place. Sans trop s’éloigner toutefois de ses origines.

« Aimez-vous les contes fantastiques ? »

Spécialiste de l’édition des régions de France, du tourisme et des loisirs, les éditions Ouest-France publient une anthologie de contes bretons sur le thème des Fantômes et dames blanches. Par Françoise Morvan, directrice de collection, et le folkloriste du XIXème siècle François-Marie Luzel, collecteur de contes, ce recueil exhume une multitude de récits de revenants qui faisaient la joie (ou la peur ?) de l’auteur pendant les veillées au coin du feu de son manoir natal de Keramborgne, au Vieux-Marché, dans les Côtes-d’Armor. Inspirateur de Le Braz à qui l’on doit la célèbre Légende de la mort, Luzel fut un faiseur de mystères. Dans son œuvre, on ne trouve « pas plus de celtitude que de certitudes », selon les mots de Françoise Morvan. « Juste un tableau éclaté portant témoignage d’un monde aux frontières incertaines, des investigations dans un monde inquiétant, une manière aussi de conjurer la terreur, de témoigner des croyances des pauvres parmi les pauvres, mendiants, errants, journaliers, valets de ferme, et leur donner la parole… ».

François-Marie Luzel a côtoyé des lieux hantés, à la découverte d’êtres invisibles : lutins, fées ou fantômes, il ne saurait le dire ? Défenseur de la langue bretonne, il s’est attaché à créer une typologie de créatures échappées d’un monde imaginaire « imprégné d’une religion que l’on dirait appliquée à faire régner l’ordre par la terreur ». Destinés à être crus, ses récits de revenants doivent toujours livrer un message sur la mort et les mille et une façons de la respecter : « La terreur livre les plus faibles au pouvoir de l’Eglise qui est ici le pouvoir des morts ». A la lecture de ses contes, on est donc en droit de croire que les morts reviennent et non sans raison ! Quoi qu’il en soit, ne boudez pas le plaisir de vous faire peur car les pages de ce livre au papier d’aquarelle vont occuper vos longues soirées à la campagne. « Aimez-vous les contes fantastiques, les histoires de revenants et d’apparitions surnaturelles ? Oui, sans doute. Vous n’y croyez peut-être pas beaucoup, mais je suis sûr qu’ils ne vous déplaisent pas, et que, comme les enfants, vous aimez à entendre, l’hiver, au coin de votre feu, des récits qui vous fassent peur, bien peur, sauf à en rire après. »

Le nouveau Fantôme des Canterville ?

Chez Plon Jeunesse, un titre attire mon attention : Les fantômes de Century.

Sur la couverture, une photographie noir et blanc d’un vieux manoir anglais. On dirait du Simon Marsden… Bingo ! Le style inimitable de ce photographe britannique ne m’a pas trompé. Il s’agit d’Allerton Park, dans le Yorkshire, en Angleterre. On trouve ce cliché dans l’introduction de son This Spectred Isle, publié chez English Heritage. L’éditeur s’est donc offert un visuel de choix ! Au dos, les premiers mots font frémir : « Mystère dans un manoir lugubre du XIXème siècle en Angleterre »… Ce premier livre pour la jeunesse de Sarah Singleton, chroniqueuse pour un journal local et mère de deux filles, a été élu "meilleur livre pour la jeunesse en Grande-Bretagne" en 2005 à l’occasion du Booktrust Teenage Prize. Flirtant avec les atmosphères d’un Frankenstein ou d’un Dracula, selon les mots de l’auteur, Les fantômes de Century est un roman fantastique dans la pure tradition du gothique anglo-saxon. C’est l’histoire d’un manoir du nom de Century qui, isolé au bord d’un gigantesque lac, a perdu de son prestige. L’hiver est rude. Tous les domestiques ont fui à l’exception d’une gouvernante qui s’occupe de deux jeunes sœurs.

L’aînée, Mercy, aperçoit un jour, sous la glace du lac, le fantôme d’une femme. Puis, l’arrivée de Claudius, qui prétend être un membre de sa famille, ajoute à son trouble. Il veut lui révéler certains secrets. Mais peut-elle lui faire confiance ?

Ai-je affaire à un nouveau Fantôme des Canterville ? A suivre...

Dimanche 25 mars
15h10

Marie-Charlotte Delmas, auteur des trois tomes du Grand Légendaire de France, chez Omnibus, est assise bien sagement à sa table pour dédicacer ses recueils de contes et traditions populaires.

Elle me présente la directrice des éditions Omnibus, une belle collection qui rend hommage, depuis bientôt dix ans, aux classiques de la littérature par des anthologies soignées, "gros livres pour lecteurs voraces", avec notamment quelques exclusivités comme l’intégrale des Simenon et son Commissaire Maigret.

Petite fée parmi les aventuriers, les détectives et les historiens, son nom côtoie les grands écrivains de la littérature. Avec ses recueils de légendes, elle a livré au patrimoine de l’imaginaire une source incomparable de récits du folklore régional, dans la lignée d’un Claude Seignolle ou d’un Paul Sébillot !

Avec Fantômes et revenants, le tome 2 de sa trilogie fantastique, nous avons eu l’occasion de fêter avec elle le mois des morts, en novembre dernier, et faire le tour de la France hantée.

La rencontrer au Salon du Livre était une occasion rare de la remercier pour son action en faveur des mythes et croyances populaires. Elle prépare actuellement une encyclopédie des démons…

Lundi 26 mars
15h00

Comme chaque année au Salon du Livre, j’ai rendez-vous avec Dominique Poisson, directeur des Editions Terre de Brume, sur le stand Bretagne. Autour d’un café, nous évoquons l’actualité du fantastique et de l’édition en général. Il me confie ses inquiétudes. Les livres fantastiques et de science-fiction ont du mal à s’imposer auprès des distributeurs, notamment des libraires, qui cèdent trop vite aux pressions des grandes maisons pour donner toute leur place aux best-sellers, marginalisant ainsi les littératures de l’imaginaire. En outre, les achats par internet ne font pas non plus du bien à la profession. Avec la commande facile ou d’occasion, le lecteur n’accorde plus autant de valeur à un livre qu’auparavant. Il est devenu un produit de consommation courante faisant, lui aussi, partie de la course au moindre prix. Dans ces conditions, il devient de plus en plus difficile de rentabiliser l’édition ou la réédition d’un roman fantastique. Les "petits" éditeurs sont donc perpétuellement menacés et doivent redoubler d’effort pour capter et fidéliser une clientèle de plus en plus sélective.

Pourtant, les connaisseurs apprécieront les dernières publications de la maison rennaise.

By Jove ! Harry Dickson est de retour !

Gérard Dôle, un familier des détectives de l’imaginaire, signe les nouvelles enquêtes de Harry Dickson, avec Le Diable de Pimlico, où l’on retrouve le Sherlock Holmes américain, popularisé par Jean Ray, dans des péripéties encore plus rocambolesques.

Dans le récit de l’Abominable Freaks Museum, un passage illustre parfaitement l’esprit d’un Harry Dickson selon Dôle :

« La sonnerie du téléphone interrompit la conversation des deux hommes. Le taxidermiste décrocha et dit :
- Allô, j’écoute… pardon ?... Il est là en effet… ne quittez pas, je vous le passe.
Et tendant le combiné au détective :
- C’est votre collaborateur. Il a à vous parler.
- Allô, Tom, du nouveau ? s’enquit Harry Dickson. Non, pas possible ? Où ça, dites-vous ? Cavendish Lane ? A deux pas du beuglant ? All right ! Je prends un taxi et j’arrive.
Notre héros raccrocha en se frottant les mains.
- Well, Cos’, jubila-t-il, un forain se décide enfin à faire des révélations moyennant quelques livres sterling. Qu’en dites-vous ?
- Que j’en suis ! s’écria Domnichor en décrochant son pardessus d’un "massacre de dix-cors" qui tenait lieu de portemanteau. »

By jove ! Inutile donc de résister à l’appel de l’aventure, du suspense et de l’horreur quand c’est Harry Dickson qui invite et Gérard Dôle qui, en bon Docteur Watson, retranscrit les péripéties du fin limier. L’auteur renoue avec la tradition de la nouvelle et du feuilleton. A l’instar du canon Doylien [œuvres complètes de Conan Doyle sur Sherlock Holmes], tous les courts récits sont reliés entre eux par des personnages récurrents ou des références à d’autres enquêtes.

Les histoires de Dôle n’échappent pas à cette règle. Les adversaires de Dickson et de son acolyte, Tom Wills, sont toujours de redoutables méchants, sanguinaires et sans pitié, qui se drapent du brouillard des bas-fonds londoniens pour perpétuer leurs crimes. Les affaires se dénouent systématiquement dans des rebondissements spectaculaires qui tiennent en haleine jusqu’aux dernières gouttes de sang, de sueur et d’encre. Des sectes sataniques, venant des quatre coins du monde et d’un cerveau dérangé, en veulent à la terre entière et recourent à des subterfuges inouïs pour désorienter leurs poursuivants. Des monstres horribles, clins d’œil évidents à l’univers apocalyptique de Lovecraft, révèlent à la fin leurs incroyables secrets de polichinelle.

Ce qui fait dire, en substance, à François Ducos, dans sa préface, qu’il n’y a pas de fantastique chez Harry Dickson ! Le fantastique naît d’une "inquiétante étrangeté" qui, à terme, trouve une explication. Jamais d’un phénomène surnaturel ! Aux frontières du réel, l’amateur de mystères se plaira à franchir les limites de l’imagination, pour y croiser des clones de Blake et Mortimer, de Dracula, de Freaks et même de François Ducos, le préfaceur !

Psychoses

Autre projet, autre livre : A saisir ! est un recueil de nouvelles noires et policières francophones issu du concours La Noiraude / Noir sur la ville organisé chaque année fin novembre, à Lamballe, dans les Côtes-d’Armor. Quel rapport avec le fantastique, me direz-vous ?

Pour cette sixième édition, des auteurs de la littérature policière, jeunes espoirs et écrivains reconnus, ont reçu la photo en noir et blanc d’une maison abandonnée, en bord de mer. Inspirés par cette thématique hitchcockienne de la villa aux mille secrets, reflet de la psyché humaine, onze écrivains ont ainsi imaginé une intrigue, entre noir et mystère, pour hanter la sombre demeure de fantômes et fantasmes. Ils ont réveillé la mémoire des pierres, écouté aux portes, sondé la cave et dépoussiéré le grenier, pour y dénicher dix motifs de frisson. Depuis le roman gothique et ses vieilles ruines hantées, puis les demeures bourgeoises des nouvelles anglo-saxonnes du XIXème siècle, les maisons ont toujours servi de décor au fantastique. Lieux de résurgence d’un passé ancestral lointain, théâtres de vieux crimes endormis, elles sont des métaphores de l’esprit humain. Le mal et la terreur viennent toujours de l’intérieur. Les dédales de couloirs obscurs et froids dessinent un labyrinthe qu’il est impossible à explorer. On s’y perd en y perdant la raison. Réalité ou illusion ?

A Saisir !, c’est du polar. Mais du polar noir qui prête une plume à des conteurs de talent. Lorsque le premier éditeur partenaire de ce concours, les éditions Baleine, a cessé ses activités, Terre de Brume a pris le relais. Au final, un sang d’encre pour des meurtres à l’encre rouge. Saluons cette initiative comme tant d’autres, porte-drapeau des littératures sous-estimées, qui encouragent à la production individuelle. Elles donnent une chance à des auteurs en herbe qui ne s’appellent pas Nothomb, Schmitt ou Bayrou…

Je quitte Dominique Poisson, le cœur gros. Pour donner un avenir au fantastique, parent pauvre de la littérature, il va falloir se battre. Dans ses filets, on trouvera bientôt une nouvelle collection de contes en format poche. Puisque le prix est un facteur déclencheur, offrons aux lutins, korrigans, sirènes et chevaliers de la Table Ronde l’opportunité de se faire entendre.

Mardi 27 mars
19h00

Dernier jour de salon. Je profite de l’occasion qui m’est donnée de croiser Didier Van Cauwelaert, en dédicace chez Albin Michel, pour lui proposer un entretien sur les mystères et les histoires surnaturelles dont il raffole. C’est Yves Lignon, parapsychologue et ami de l’écrivain niçois, qui m’a recommandé de le solliciter sur ce sujet : « Comme de nombreux créateurs, son univers intellectuel ne connaît pas de frontières entre réel, surnaturel, merveilleux et imaginaire. »

Dernière rencontre. En dédicace chez Lattès pour son dernier roman historique, Le Rajah Bourbon, je salue notre ami Michel de Grèce, écrivain estimé des lecteurs de ghost stories à qui l’on doit Ces femmes de l’au-delà et Le ruban noir de Lady Beresford. Michel de Grèce est un conteur hors pair qui sait cultiver l’art du suspense dans des fresques historiques difficiles à lâcher. Outre, sa connaissance intime de l'Histoire, il adore les histoires de fantômes, les collecte comme des papillons et se plaît à sillonner les routes du mystère, avec un enthousiasme et une sensibilité toujours renouvelés. Avec Erick Fearson, nous espérons faire un bout de route avec lui, au pays de l’invisible…

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© Photos : Olivier Valentin (sauf couvertures des livres)

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